« Avant le dopage était dérisoire et les exploits énormes »

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Aujourd’hui on assisterait à un effet pendulaire où le dopage serait extraordinaire et les exploits dérisoires

Cette explication pro domo de la presse cycliste est fausse.

Ces dernières années, le pilonnage de la désinformation se concentre sur la ridicule efficacité des dopants avant l’ère Armstrong, comme si ce dernier était l’homme qui avait fait basculer la triche à un niveau jamais atteint, alors que ses prédécesseurs auraient été de simples bricoleurs. En clair, l’Américain aurait fait faire « un petit pas pour le vélo et un très grand pas pour la pharmacie ».

Avant 1990 les exploits étaient énormes… 

Philippe Bordas, ancien journaliste à L’Equipe, observateur in situ des compétitions cyclistes es années 1980-1990, va, dans son ouvrage Forcenés publié en 2008, se faire le chantre de cette idée prétendument novatrice: «Les dopages étaient dérisoires, les exploits énormes. Que penser de ce dopage devenu énorme, de ces exploits dérisoires. » C’est Laurent Fignon, le double vainqueur du Tour 1983-1984, qui, en 2009, dans son autobiographie, va reprendre à son compte la phrase devenue ­culte pour tous ceux qui ont exercé leur activité avant le début des années 1990 (cyclistes, journalistes, soigneurs, etc.) : « De mon temps, les formes de dopage étaient dérisoires et les exploits étaient considérables; depuis une quinzaine d’années, c’est tout le contraire, les formes de dopage sont énormes et les exploits, eux, sont dérisoires. » D’ailleurs, Greg LeMond, triple vainqueur du Tour qui a terrassé pour huit petites secondes L’Intellectuel du peloton et qui a vu sa domination s’interrompre en 1991, avait déjà dès 2004 posé les bases de l’équation: « Il y a toujours eu un problème avec le dopage dans notre sport mais, depuis dix ans, les produits sont tellement performants qu’ils peuvent changer un athlète physiologiquement. On peut transformer une mule en étalon. »

Depuis l’avènement de la fameuse hormone EPO (érythropoïétine) au début des années 1990, les observateurs de la chose cycliste croient découvrir que le dopage moderne transforme un mulet en pur-sang.

Piqûres de rappel pour amnésiques
En 1976, soit 23 ans avant le premier sacre en jaune de Lance Armstrong, un ‘’anémique’’ grâce à trois transfusions sanguines remporte plusieurs étapes et grimpe sur le podium final du Tour.
En 1979, lors de la 66e édition, l’une des stars du peloton est épinglée à un stéroïde anabolisant.
En 1983, lors de la 70e édition, le bilan des contrôles donne six cas positifs aux anabolisants.

Ainsi, on veut nous faire croire qu’avant 1990, les coureurs carburaient uniquement à l’eau de source, aux cachous, pastilles Valdaï, bombons et autres vitamines… Au final, on veut nous faire avaler qu’« avant l’apparition de l’EPO, au début des années 1990, le dopage ne changeait pas la hiérarchie du peloton». Et donc, par corollaire, qu’il n’y avait pas lieu de s’en offusquer. C’est bien sûr l’argumentation de nombreux journalistes ayant assisté sans broncher à l’extension de la triche pharmaceutique et de la plupart des cyclistes, espérant ainsi, pour les premiers, minimiser leur complicité passive et pour les seconds, nier l’influence du dopage dans leurs prouesses cyclistes.

Dès le début des années 1960, on sait que le dopage ‘’change un cheval de labeur en pur-sang d’un jour’’. 

En réalité, des géants du Tour tels Jacques Anquetil – dès le début des années 1960 – affirmaient l’inverse en expliquant que le dopage aux amphétamines « change un cheval de labour en pur-sang d’un jour ». Quelques semaines plus tôt, dans l’émission culte de la télévision Cinq colonnes à !a une, le Normand s’était exprimé sur le même thème de l’efficacité du dopage: « Sans stimulants, les grandes performances ne seraient jamais battues. »

Lors de tests grandeur nature dans des compétitions contre la montre, le boss du peloton des années 1960 avait quantifié l’effet des amphétamines sur ses temps de course. Cette évaluation, qui s’est effectuée sur le Grand Prix de Forli, a donné – en l’absence de Bomba (dynamite) – une détérioration de la vitesse moyenne de 2,5 km à l’heure sur un parcours de quatre-vingt-sept kilomètres, soit 5,7% de débours. À titre de comparaison, signalons que Jean-­Marie Leblanc, patron du Tour de 1989 à 2006, évaluait à trois kilomètres/heure le gain de vitesse procuré par l’EPO. En résumé, on peut affirmer que les aides biologiques à la performance, telles que les stimulants à base d’amphétamines, apparues au décours du second conflit mondial, modifient la hiérarchie entre les adeptes de la pharmacie et les non-consommateurs.

Article publié dans Cyclosport Magazine, 2014, n° 97, juin

 

 

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