RUGBY – L’éthique médicale bafouée, piétinée, plaquée depuis des lustres

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Dans la série « Le Grand Témoin », L’Equipe revisite chaque jeudi un évènement passé avec l’un des acteurs de l’époque. Le 12 mai, le quotidien sportif revient sur la finale du championnat de France 1990 remportée par le Racing contre Agen (22-12 AP), la dernière finale du club ciel et blanc avant celle contre les Saracens. Philippe Guillard, l’ailier du Racing, raconte comment il a pu jouer le 26 mai 1990 avec une luxation des péroniers (cheville) anesthésiée par injection.

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Les 4 jours précédant la finale, je marche avec des béquilles 

Revenons aux faits. Le mardi précédant la finale lors de l’entraînement, La Guille (son surnom) rappelle : « Je m’étais écroulé d’un coup, lors de l’échauffement, sans que personne ne me touche. ‘’Oh non ! Pas ça’’ La gaine du long péronier, le tendon qui passe sous la malléole et qui te permet de faire les appuis, les extensions, avait lâché. En clair, je ne pouvais plus marcher. Le tendon se baladait au-dessous du pied. Dans les vestiaires, je me mets à chialer (…) A partir du mercredi où on est partis préparer le match à la Voisine, le centre d’entraînement du Quinze de France, j’ai passé trois jours de calvaire au bord du terrain, avec mes béquilles. On me faisait des séances d’acupuncture, des massages pour enlever l’inflammation. Le soir, je ne dormais pas. Je cauchemardais toute la nuit : je vais rater la finale… »

GUILLARD

Philippe Guillard

Me faire piquer au dernier moment 

Le feu vert pour être sur le terrain en tenue de joueur sera effectué le samedi matin de la finale. Pizzaïolo, son autre surnom, raconte la scène : « On m’avait fait une piqûre d’antidouleur pour tenir une demi-heure. Je ne sentais plus ma jambe. J’ai dû me tester sous les chandelles, sur les contre-pieds, les appuis. Le président du club, Jean-Pierre Labro, était là avec Robert Paparemborde et Christian Lanta, notre entraîneur. Au bout d’un moment, Robert me dit : ‘’C’est bon La Guille, tu joues ce soir’’. Mais Lanta lui en voulait plus : ‘’Je te mets deux plots et tu fais quinze allers-retours en prenant appui sur le pied où tu as mal. Si tu sors de là, tu joues’’. Je pensais que ça n’allait pas tenir, mais je l’ai fait à fond, j’étais comme sous anesthésie. » Ensuite, c’est le transfert au Parc des Princes. Guillard se souvient parfaitement de ces instants : « Je suis descendu du bus avec mes béquilles. Un journaliste de Sud-Ouest me lance : ‘’Tu ne joues pas finalement ?’’ Je lui réponds : ‘’Qu’est ce qui te fais dire ça ?’’ Mon but, c’était de me faire piquer au dernier moment et je suis resté dans les vestiaires jusqu’au bout. Pas d’échauffement, pas de traditionnelle photo d’avant-match, d’ailleurs, je ne suis pas dessus. »

Dominique Issartel, la journaliste intervieweuse, pose une dernière question à Guillard dont la réponse est à la hauteur de l’ignorance abyssale du corps des sportifs de compétition.  Que vous reste-t-il de cette expérience vingt-six après ? « Un seul joueur aurait dit : on ne peut pas prendre La Guille, on a envie d’être champions et il nous met en danger, je n’aurais pas disputé cette finale. Mais ce mec, il n’existait pas dans ce groupe, il n’existait pas dans le rugby de cette époque où on jouait des années ensemble. Pourtant, que les mecs m’aient laissé jouer avec cette blessure – ce n’était pas une côte cassée ou un coup à l’épaule – alors que je n’étais pas un joueur utile, je n’en reviens toujours pas. Il y aurait eu un autre mec à ma place, ils étaient champions pareil. Alors, d’avoir pris le risque, je leur dis merci. »

Contraire à l’éthique médicale

 De tout temps et aujourd’hui plus que jamais, le mépris du corps fait partie intégrante du comportement des sportifs face à la douleur. Tout le monde comprend que consommer des amphétamines quand on a un coup de mou, c’est du dopage alors qu’à l’inverse se piqouzer pour jouer un match malgré une blessure, ça n’a rien à voir avec un coup de pouce artificiel, ce n’est que de la médecine ! Belle subtilité de langage !

En réalité, de jouer blessé grâce à une piqûre anesthésiante est aux antipodes de l’éthique médicale. On peut remonter dans le temps, on trouvera des cas similaires en pagaille. Depuis la finale Racing-Agen en 1990, l’état d’esprit des combattants des pelouses n’a pas changé. En milieu hippique, il y a des vétérinaires indépendants qui examinent les chevaux avant les courses. Tout quadrupède blessé ou malade est interdit de départ. Pourquoi dans un but de préserver leur santé, on règlemente leur présence sur les champs de course alors que dans les enceintes sportives humaines les instances, les dirigeants, les staffs médico-sportifs ferment les yeux ? Au final, pour assister aux prémices d’un véritable changement de comportement, il est clair qu’il n’y a pas grand-chose à attendre du milieu du rugby puisque cela perdure depuis plus d’un siècle.

DOCUMENT –  Joueurs blessés : le mépris du corps (quelques cas exemplaires)

1965 – Jean-Baptiste  Amestoy (FRA) : quatre piqûres anesthésiantes avant et pendant le match 

Rugbyman international en 1964 au poste de pilier, le Basque originaire d’Ustaritz se plie aux exigences du sportif de compétition qui doit jouer coûte que coûte. Un écho paru dans Le Miroir des Sports confirme cette pratique contraire à l’éthique médicale : « Bel acte de courage à l’actif de Jean-Baptiste Amestoy, le pilier du stade Montois : il a joué dimanche 1er novembre contre Lourdes avec une tendinite très prononcée. Il dut subir quatre piqûres anesthésiantes qui lui furent faites, avant et pendant le match. » [Le Miroir des Sports, 1965, n° 1104, 4 novembre, p 39]

AMESTOY

Jean-Baptiste Amestoy

 1978 – Pascal Ondarts (FRA) : « Orbite fracturée, mais je n’avais pas quitté le terrain »

« Mon premier derby entre le BO et l’AB c’était en 1978, j’avais perdu à Biarritz contre Bayonne. C’était chaud. J’avais eu l’orbite fracturée au bout de cinq minutes de jeu. Francis Haget (deuxième ligne du BO, 40 sélections de 1974 à 1987) poussait derrière moi. Il avait loupé le pilier en face et j’avais chargé. Orbite fracturée mais je n’avais quitté le terrain ! Ça c’était le derby. Ce n’est pas parce qu’on avait l’épaule pétée ou l’arcade arrachée qu’on sortait, on était là pour défier le mec en face. Et puis, un derby, si tu ne le finissais pas avec un marron, le match d’après, il n’y avait personne au stade ! C’était la moindre des choses, il fallait bien prouver qu’on avait envie de jouer (il rigole). »

ONDARTS

Pascal Ondarts, international (42 sélection) [L’Equipe, 25.05.2015]

 2005 – Raphaël Poulain (FRA) – Jouer malgré une blessure

« L’échauffement d’avant match est bientôt terminé. Je­ pique une dernière accélération le long de la ligne d’en-­but : « Clac ». Le bruit me résonne du mollet jusqu’aux tempes. La déchirure est brutale. Le muscle est fissuré, ce n’est pas une simple contracture. Tout craque. Je rejoins les copains dans le vestiaire, sans rien laisser paraître. J’avale un cri de douleur au moment de serrer les lacets de mes crampons. Je prends ma place, à l’aile, face a une meute de Corréziens bien  décidés à défendre leur terre contre les parigots. La déchirure s’accentue à chaque course. A la vingtième minute, idéalement place, en surnombre, je reçois une passe parfaite de Jérôme Fillol. Je n’ai que cinq mètres à courir vers le poteau de coin pour marquer l’essai. Mais je ne peux courir que tout droit. Je fonce dans un défenseur briviste, perd le ballon et gâche l’action. Sur le banc de touche, l’entraîneur a de la foudre dans les yeux et un masque grimaçant. » Raphaël Poulain (FRA) [in « Quand j’étais superman ». – Paris, éd. Robert Laffont, 2011. – 248 p  (p 106)

POULAIN

Raphaël Poulain

2015 – Jacques Burger (Namibie) – « Chaque partie de mon corps me fait mal »

Témoignage du capitaine de l’équipe de Namibie lors de la Coupe du monde 2015 : « Souvent, après un match, je me réveille en plein milieu de la nuit et je crie : aie ! Je ne peux plus sortir de mon lit. Chaque partie de mon corps me fait mal comme si je venais d’avoir un accident de voiture. Le rugby est un sport de brutes mais je n’en changerais pour rien au monde. » [L’Equipe, 25.09.2015]

BURGER

2 réflexions au sujet de « RUGBY – L’éthique médicale bafouée, piétinée, plaquée depuis des lustres »

  1. J’ai participé à un séminaire de motivation de la société dans laquelle je travaille, auquel participait l’ancien rugbyman Will Carling en tant qu’intervenant-vedette. Il avait avoué/affirmé/s’était vanté (choisissez votre expression) d’avoir pris part à un match type Tournoi des 5 Nations et l’avoir gagné avec une jambe infirme mais shootée aux seringues. Conclusion de ce séminaire : tous les moyens sont bons pour réussir…

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