Efficacité des drogues de la performance – Depuis 1990, le dopage transforme un  »cheval de bois en pur-sang »… Mais avant ?

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Depuis les années sixties, soit trois décennies en amont, Jacques Anquetil le maître du chrono et du dopage, lui qui ne connaissait que les amphétamines, a contrario de la majorité des plumitifs de son époque, affirmait que la dynamite ou Bomba influençait et pas qu’un peu le rendement athlétique : « Le doping change un cheval de labour en pur-sang d’un jour ».

anquetilDans une interview parue dans Pédale !, un magazine annuel publié par So Foot, Laurent Brochard – l’ancien champion du monde 1997 –  accrédite la thèse du cheval de bois dominant le pur-sang grâce au dopage. Sauf que cette affirmation était régulièrement niée par les discours pro domo des cyclistes et des journalistes de la génération Merckx-Hinault.

 Avant les meilleurs restaient les meilleurs

 A la question posée par un journaliste de So Foot, lui-même convaincu qu’avant les années1990, le dopage était dérisoire, interpelle sur ce thème La Broche : « Avant, avec le dopage à papa, les meilleurs restaient les meilleurs. Mais avec l’ÉPO, la hiérarchie a commencé à être bouleversée, les bourrins pouvaient devenir des étalons… », La Broche rétorque : ‘’ Oui, on s’en est aperçu. Le problème, c’est que ceux-là, ils ont sûrement vraiment joué avec leur santé ; il y a des produits comme ça qui peuvent tout changer et donc sûrement changer ton corps.’’

 

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Laurent Brochard

 

 Tout en répondant à la question, Brochard s’aperçoit que d’accréditer le changement surnaturel dû au dopage à l’ÉPO et alors que lui-même en prenait, décrédibilise ses performances. Ainsi, après son acquiescement initial, son discours change radicalement : « Mais quand même, la hiérarchie restait conforme aux qualités intrinsèques des coureurs, je pense, en tout cas chez Festina, il n’y a pas eu d’abus dans ce genre de choses, en tout cas pour moi c’est sûr. »

Au final, le milieu cycliste – journalistes compris – veut nous faire avaler qu’avant l’apparition de l’ÉPO au début des années 1990, le dopage ne changeait pas la hiérarchie du peloton. Et donc, par corollaire, qu’il n’y avait pas lieu de s’en offusquer. C’est bien sûr l’argumentation de nombreux journalistes ayant assisté sans broncher à l’extension de la triche pharmaceutique et de la plupart des cyclistes, espérant ainsi, pour les premiers, minimiser leur complicité passive et, pour les seconds, nier l’influence du dopage dans leurs performances.

 Anquetil : les amphets « changent un cheval de labour en pur-sang d’un jour »

 En réalité, des géants du Tour tels Jacques Anquetil – dès le début des années 1960 – affirmaient l’inverse en expliquant que le dopage aux amphétamines « change un cheval de labour en pur-sang d’un jour. » Quelques semaines plus tôt, dans l’émission culte de la télévision ‘’Cinq colonnes à la une’’, le Normand s’était exprimé sur le thème de l’efficacité du dopage : « Sans stimulants, les grandes performances ne seraient jamais battues. »

Félix Lévitan, l’un des patrons du Tour de France, observateur privilégié de la gent cycliste depuis le début des années 1930, croyait mordicus à l’efficacité des pilules dynamisantes en le martelant le 20 avril 1965 dans l’hebdomadaire Le Miroir des Sports : « Celui qui ne se dope pas est un pauvre type, voué par avance à la défaite ». Afin de quantifier l’effet des amphétamines sur ses temps de course, Anquetil s’était prêté à une expérience lors de tests grandeur nature dans une compétition contre la montre.

Cette évaluation effectuée sur une épreuve chronométrée italienne, le Grand Prix de Forli, avait donné – en l’absence de Bomba (dynamite) – une détérioration de la vitesse moyenne de 2,5 km à l’heure sur un parcours de quatre-vingt-sept kilomètres, soit 5,7 % de débours. A titre de comparaison, signalons que Jean-Marie Leblanc, patron du Tour de 1989 à 2006, évaluait à trois kilomètres/heure le gain de vitesse moyenne procuré par l’ÉPO. Par ailleurs, certains font passer les corticoïdes pour des dopants de catégorie inférieure. Par exemple, Laurent Fignon qui minimisait son recours aux substances ergogéniques en affirmant qu’à son époque toutes les substances étant détectables, il était donc difficile voire impossible de passer à travers les mailles du filet mais il précisait toutefois que du temps de sa splendeur les corticos n’étaient pas détectés par les radars. Une lecture attentive entre les lignes donne le message suivant : le double vainqueur du Tour 1983-1984 nous dit que l’ensemble du peloton fonctionnait avec les mêmes armes et que cela ne l’empêchait en rien de faire la course en

David Millar, professionnel de 1997 à 2014, a un avis plus tranché sur ces fameux corticos : « J’en ai pris. Et, pour moi, c’est ce qui faisait le plus de différence. Presque plus que l’ÉPO. Ça t’assèche. Aujourd’hui, c’est un miracle si j’arrive à descendre sous les 77 kilos. Une injection de Kenacort® (un corticoïde synthétique) et j’étais à 75 après une semaine, dix jours ! Tu t’imagines le niveau de performance. Deux kilos à ce niveau-là, c’est énorme. Et en course, ça te rend plus fort. La première fois que j’en ai pris après la Vuelta 2001, c’était sur un chrono. J’avais tellement de force que tous mes tendons me faisaient mal. »

 

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David Millar

 

En résumé, il n’y a pas que les plus faibles qui se dopent, les cadors aussi. Et les aides biologiques à la performance (ÉPO, anabolisants, corticos, etc.) mais aussi les stimulants à base d’amphétamines, apparues au décours du second conflit mondial, modifient la hiérarchie entre les adeptes de la pharmacie et les non-consommateurs.

Article publié dans Cyclosport Magazine n° 106, juin 2015

 La litanie du cheval de bois insensible aux armes biologiques

Pendant des décennies, l’argument numéro un des sportifs – notamment des cyclistes – et afin de préserver l’image positive de leurs performances – était de nier l’efficacité des dopants en utilisant la métaphore du cheval de bois qui ne peut se transformer en pur-sang grâce à la magie d’un quelconque orviétan. En effet, depuis 1965 et la loi antidopage française, le dopage s’apparente à une tricherie et bien sûr aucun sportif ne veut admettre que ses succès trouvent leurs sources dans la chimie.

C’est seulement au décours des années 1990 et suivantes avec la mise en évidence par les autorités judiciaires (gendarmes, policiers, douaniers) des affaires Festina (1998), Giro (2001), Puerto (2006)… que la réalité du dopage touchant une très grande partie du peloton est apparue et dans la foulée l’existence d’un cyclisme à plusieurs vitesses. A l’inverse de leurs glorieux aînés, la génération EPO a enfin admis que le cheval de bois sous influence biologique pouvait devenir un pur-sang !

 CYCLISTES PROFESSIONNELS

 Louison Bobet (FRA), cycliste professionnel de 1947 à 1961 : « Un cheval de labour ne fera jamais un cheval de course, même si on lui administre tous les produits de laboratoire imaginables. »  [in « Louison Bobet, le cycliste d’orgueil » de Robert Ichah. – Paris, éd. PAC, 1981. – 170 p (p 76)]

 Thierry Bourguignon (FRA), cycliste professionnel de 1990 à 2000 :

  1. « Donnez des kilos de vitamines à un âne, vous n’en ferez jamais un vainqueur du Grand Prix. J’appartiens à la génération qui a vu exploser le dopage. A mes débuts, autour de 1990, il existait déjà de nombreux produits, en particulier les corticoïdes et les anabolisants, sans oublier les bonnes vieilles amphétamines. Cependant, au sein du peloton, il était entendu que ces saletés ne pouvaient pas transformer un âne en cheval de course. » (pp 93-94)

bourguignon 2.  « L’apparition de l’ÉPO et de l’hormone de croissance, vers 1992-1993, a fait basculer la situation. Des coureurs jusqu’alors anonymes ont soudainement réalisé d’énormes progrès ; des bourricots se sont métamorphosés en pur-sang.»     [in « Bourgui, tours et détours ». – Paris, éd. Botega, 2000. – 193 (p 94)]

Pino Cerami (BEL), cycliste professionnel de 1948 à 1963 : « On n’a jamais fait gagner le Grand Prix de l’Arc de triomphe à un baudet. »

Robert Chapatte (FRA), cycliste professionnel de 1944 à 1954 : « Aucun orviétan ne saurait faire d’un cheval de fiacre un vainqueur du derby d’Epsom. » [Le cyclisme, la télé et moi .- Paris, éd. Solar, 1966 .- 316 p (p 144)]

Claude Criquielion (BEL), cycliste professionnel de 1979 à 1991 : « Moi, je prétends qu’en donnant des produits dopants à un mulet ou à un canasson, on n’en fera jamais un cheval de course. » [L’Équipe, 21.10.1987]

Albert De Kimpe (BEL), directeur sportif belge de 1943 à 1989 : « Vous pouvez donner quelque chose à un baudet, il ne gagnera jamais le Prix de l’Arc de Triomphe. »

Gilbert Duclos-Lassalle (FRA), cycliste professionnel depuis 1978 : «  Il y a des produits, mais on peut les donner à un bourricot, jamais on n’en fera un cheval de course. » [L’Équipe, Magazine, 04.07.1992, p 44]

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Raphaël Géminiani (FRA), cycliste professionnel de 1946 à 1960, 3e du Tour de France 1958 et directeur sportif de 1961 à 1986 :

  1. « Un cheval de trait ne fera jamais un cheval de course même s’il est drogué à ras bord !» [L’Équipe, 30.03.1960]

2.  « Un percheron face à des purs-sangs n’a jamais gagné l’Arc de triomphe à Vincennes.» [http:// www.passpass.net/geminiani/100 cons.2001]

Daniel Gisiger (SUI), cycliste professionnel de 1977 à 1988 : « De toute façon, aucun artifice ne permet de faire d’un âne un cheval de course. » [Le Figaro, 19.10.1987]

Bernard Hinault (FRA), cycliste professionnel de 1974 à 1986, quintuple vainqueur du Tour de France :

  1. « On n’a jamais pu transformer un mulet en cheval de course. » [Paris Match, 05.10.1984]

2.  « Ce n’est pas en dopant un baudet que l’on va en faire un champion. » [L’Équipe, 11.04.1989]

3.  « Avec un âne, on ne fera jamais un cheval de course. » [Le Sport, 1998, spécial n° 2, juillet, p 11]

 

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Bernard Hinault

 

André Leducq (FRA), cycliste professionnel de 1926 à 1939 : « Les drogues n’ont jamais transformé un cheval de labour en pur-sang. » [But et Club, Le Miroir des Sports, 1957, n° 641, 17 juillet, p 17]

 Greg LeMond (USA), cycliste professionnel de 1981 à 1994 : « Il y a toujours eu un problème avec le dopage dans notre sport, depuis dix ans, les produits sont tellement performants qu’ils peuvent changer un athlète physiologiquement. On peut transformer une mule en un étalon ! » [Le Monde, 16.07.2004]

Marc Madiot (FRA), cycliste professionnel de 1980 à 1994 et directeur sportif de La Française des Jeux : « Ce n’est pas en donnant une potion magique à un cheval de bois qu’on obtient un cheval de course… Il faut arrêter de prêter au dopage des qualités qu’il n’a pas. On laisse croire que le dopage est une source de victoire. C’est faux. Un coureur ne réalise pas une grande carrière en se dopant. » [Le sport, 13.12.1996]

 

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Marc Madiot

 

Antonin Magne (FRA), cycliste professionnel de 1926 à 1939, vainqueur des TDF 1931-1934 :

  1. «Le doping n’a jamais fait d’un cheval de labour un gagnant  de grand prix hippique. » [in « Vélo 1939 » de Jean Leulliot .- Paris, éd. René Raillet, 1939 .- 303 p (p 7)]

2.   « Aucune « dynamite » ne fera jamais gagner le grand prix à un percheron si les pur-sang ont pris le départ. » [Le Miroir des Sports, 26.04.1965, p 12]

Eddy Merckx (BEL), cycliste professionnel de 1965 à 1978 :

  1. « On n’a jamais fait d’un âne un cheval de course. » [L’Équipe, 30.03.1977 ; Le Figaro, 29.01.1979]

2.  « Le dopage n’a jamais transformé un âne en cheval de course. » [L’Express, 04.04.1977 ; L’Express, 24.07.1978]

3.  « Aucun produit au monde n’a jamais permis à un âne de devenir un pur-sang. » [in « Eddy Merckx » homme et cannibale » de Rik Vanwalleghem et Joël Godaert. – Gand (BEL), éd. Pinguin Productions, 1993. – 236 p (p 120)]

 

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Eddy Merckx

 

Charles Pélissier (FRA), cycliste professionnel de 1919 à 1931 : « Vous pouvez faire ce que vous voulez avec le doping, vous ne ferez pas gagner le Grand Prix à un cheval de fiacre. »  [Miroir du Cyclisme, 1965, n° 64, octobre, p 3]

Francis Pélissier (FRA), cycliste professionnel de 1913 à 1931 : « Tu peux toujours bourrer la gueule d’un percheron avec tout l’étalage d’un pharmacien, tu ne lui feras pas gagner le Grand Prix de l’Arc de Triomphe. » [cité par Abel Michéa L’Humanité, 20.11.1964]

Georges Wambst (FRA), cycliste professionnel de 1925 à 1940 : « Un bon soigneur ne fera jamais avancer un ‘’tréteau’’ »  [Cité par Jean-Paul Séréni in « Le sport à nu » .- Paris, éd. Calmann-Lévy, 1975 .- 215 p (p 168)]

 JOURNALISTES DU VÉLO

 Pierre Chany (FRA), journaliste sportif :

  1. « Aucun dopage ne fera jamais d’un cheval de trait le vainqueur d’un Grand Prix » [in « Vingt cinq Tours de France dans les coulisses ». – Lausanne (SUI), éd. Tribune de Lausanne-Le Matin, 1971. – 94 p (p 66)]

2.  « Le jour où un bourrin détrônera un pur-sang grâce à une piqûre, alors là, oui, et seulement dans ces conditions-là, nous pourrons affirmer que le cyclisme sera en danger de mort. » [in « Tour de France, une belle histoire ? ». – Paris, éd. de Maule, 2008. – 201 p (p 99)]

Jean Chimberg (FRA), journaliste : « En réalité, on n’a jamais réussi par des procédés mystérieux à faire courir un cheval de labour aussi vite qu’un pur-sang. » [Sport Digest, 1949, n° 7, juin, p 68]

Jean-Emmanuel Ducoin (FRA), journaliste à L’Humanité depuis 1986 : Avant 1996 : « On pouvait encore clamer ‘’A dopage égal, la classe l’emporte toujours.’’. Ou encore : ‘’Un produit ne transformera jamais un cheval de trait en pur-sang’’. Ces évidences ressassées n’en étaient plus. Et le Tour de France en fut le témoin passif, en 1996, l’année où le crime fut total et presque parfait. » [in « Tour de France, une belle histoire ? ». – Paris, éd. de Maule, 2008. – 201 p (p 100)]

Roger Frankeur (FRA), journaliste sportif : « En vérité, le meilleur muscle du monde ne peut donner que ce qu’il peut et nul « dynamisant » chimique ou psychique n’a jamais fait gagner le Grand Prix à un percheron, si des pur-sang ont pris le départ. » [Miroir du Cyclisme, 1974, n° 181, janvier, pp 36-38 (p 37)]

Jean-Michel Joly (FRA), journaliste scientifique : « Aucun des produits dopants et interdits par les différentes instances sportives ne fera gagner le Prix de l’Arc de Triomphe à la première rosse venue. Et « Monsieur tout le monde » ne sera pas champion olympique grâce à son armoire à pharmacie. » [Science et Vie, 1978, n° 123, hors série, juin, p 120]

Jack Plunkett (FRA) : « Doper un toquard, c’est exactement comme si l’on faisait une piqûre intraveineuse à un cheval de bois pour le faire ruer… »  [Match L’Intran, 22.05.1928, n° 85]

 MÉDECINS DU VÉLO

Dr Pierre Dumas (FRA), médecin chef du Tour de France de 1955 à 1967 : « Ils peuvent bien employer tous les doping de la terre, on ne fait pas un champion d’une cloche. Le Tour, on doit être capable de le faire, et aucun moyen ne le fera faire si on en est physiquement incapable. »  [Miroir Sprint, 02.06.1958]

 

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Pierre Dumas

 

Dr Roland Marlier (BEL), membre de la Commission médicale de l’UCI : « Si vous prenez un âne et essayez d’en faire un pur-sang, vous vous ruinerez en amphétamines. »  [Paris-Match, 1970, n° 1106, 18 juillet, p 53]

 

 

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