Le dangereux mirage de vouloir légaliser le dopage

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Check-list des contre-arguments : la preuve par 7

 Compte tenu que la lutte antidopage n’épingle que les mal conseillés, les imprudents et les imbéciles, peu nombreux en vérité si l’on en croit les résultats des tests depuis cinquante ans – ces derniers oscillent entre 0,13 et 1% dans le meilleur des cas – et dépense des sommes faramineuses pour ce piètre résultat, de plus en plus de voix militent pour une libéralisation du dopage ; mais ces dernières, afin de moins choquer les biens pensants ou les psycho-rigides, ajoutent « médicalement encadré ».  Traiter le mal par le mal, est-ce la bonne solution ? NON !

Près de cinquante ans de suivi d’affaires de lutte antidopage m’amène – en fonction de cette expérience unique – à lister les arguments qui montrent que la libéralisation ou légalisation des drogues de la performance est une utopie et ne peut que renforcer les effets délétères de la médicalisation de l’exploit sportif.

 1 – Effets délétères du dopage

Risques surajoutés dus à la compétition (ou à l’entraînement) : médicaments dopants associés à l’effort physique = risque maximal (cas de Tom Simpson

– Le doping oblige constamment à se surpasser » [Jacques Anquetil (FRA), Le Cycliste, 1960, n° 710, mai-juin, p 136]

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Jacques Anquetil (FRA), cycliste professionnel de 1953 à 1969

Bombes à retardement : effets secondaires décalés dans le temps (après la carrière)

–  Sur la descendance : effets tératogènes (malformations physiques : pieds bots, phocomélie, etc.)

–  Augmente l’agressivité, la violence des acteurs et donc les risques pour l’adversaire (stimulants : chute du peloton ; anabolisants : rage des stéroïdes ou agression violente sous l’emprise des ‘’engrais musculaires’’)

Effets collatéraux des dopants : « Ne pas faire du mal aux autres »

HIPPISME – Tout le monde descend

« Aux Etats-Unis, quatre jockeys sont morts et quinze cents autres ont été blesses dans des accidents provoques par des chevaux drogues a la butazolidine®, une medication qui efface la douleur. La famille d’un des jockeys tues a intente un procès en dommages-intérêts au propriétaire du cheval dope qui causa l’accident. « En anesthésiant le cheval, cette médication l’empêche de réagir normalement et le rend dangereux » estime le président du jockey-club des Etats-Unis. Ce qui n’empêche que le produit est administre légalement dans plusieurs états outre-Atlantique. »  [L’Équipe, 12.06.1979]

 –  Effet meute : lorsque les stimulants sont consommés « en réunion » (équipe), l’agressivité se trouve fortement boostée (effet potentialisateur)

–   Afin de connaître les effets délétères des drogues de la performance, quelle fédération a fait une étude rétrospective et ou prospective sur la longévité et la morbidité de ses pratiquants ?

–   Mais surtout quel partisan de la thèse de libéraliser le dopage a mené une seule étude sur la morbidité liée aux drogues de la performance ?

–   En règle générale, le sportif augmente les doses à l’insu du médecin : il pense que si un comprimé fait du bien, en doublant ou triplant la dose ce sera forcément plus efficace. In fine, penser que les sportifs n’utilisent pas des doses supérieures à celles prescrites par leur toubib de « haut niveau » relève de la pure utopie.

–   Surdose : « Certains athlètes prennent des doses de stéroïdes anabolisants qu’on ne donnerait pas à des éléphants » [Dr Bernhard Segesser (SUI), médecin de la délégation suisse aux JO de Montréal, L’Équipe, 06.08.1976]

–  Cocktails : pour être efficace, un produit dopant doit être associé à d’autres pour en optimiser les effets (ÉPO, fer, acide folique) mais le sportif doit également consommer des « antidotes » pour en limiter les effets secondaires (ÉPO + anticoagulants)

 2 – Équité

–  Qui va former les médecins dopeurs ?

–  Quels médecins pour les sportifs « pauvres » (Dr Michele Ferrari, Dr Eufemiano Fuentes hors de prix)

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Dr Michele Ferrari (ITA)

 3 – Qui doit payer?

–   La société doit-elle payer les conséquences du dopage ?

–  Les médicaments dopants seront-ils remboursés par la Sécu ?

4 – Liberté individuelle bafouée

 –   Que fait-on de ceux qui ne veulent pas se charger ? Comme d’autres, le journaliste Martin Couturié, responsable du service des sports au quotidien Le Figaro, résume la contrainte imposée aux compétiteurs propres : « Une totale libéralisation obligerait tous les sportifs souhaitant réellement gagner à se doper, même ceux qui aujourd’hui tournent le dos au fléau. » [Le Figaro, 20.11.2011]

5 – Éthique médicale

–  En milieu hippique, un cheval blessé ou malade est interdit de compétition. Il ne retourne sur l’hippodrome que lorsqu’il est guéri (à comparer avec l’attaquant brésilien Ronaldo au Mondial de football 1998 et l’athlète chinois spécialiste du 110 m haies, Liu Xiang, incapable de prendre le départ de sa série aux JO de Pékin en 2008)

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Le Chinois Liu Xiang, spécialiste du 110 m haies ; infiltré et incapable de prendre le départ de sa série aux JO de Pékin en 2008

–  Impératif de rendement : quelle est l’indépendance du médecin vis à vis de l’employeur, des sponsors, de l’organisateur ?

Les médecins, pour attirer une clientèle de haut niveau à leur cabinet de consultation, plongent sans hésiter dans la surenchère des drogues et cocktails de la performance afin d’être considérés par les sportifs comme un rouage incontournable dans la quête des podiums (Drs Francesco Conconi, Michele Ferrari, François Bellocq, Yves Kerrest, Eufemiano Fuentes, Enrico Lazzaro, Jesus Lozza, Eric Rijckaert, Carlo Santuccione…)

 

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Dr Eufemanio Fuentes (ESP)

–   Que devient le serment d’Hippocrate (dans les faits un serment d’hypocrite)

–  Docteurs pygmalions : recherchent l’exposition médiatique grâce aux performances de leurs « poulains »

–  De nombreux médecins du sport ont pour seule ambition d’être l’ami proche d’un champion

–  Médecins « Dr Jekyll et Mr Hyde » à la fois dans l’antidopage et dans la prescription de drogues de la performance. Exemples :

Dr Francesco Conconi (ITA) : commissions médicales du CIO, de l’UCI et promoteur de l’ÉPO; Dr Patrick Nedelec (FRA) : contrôle antidopage TDF de 1982 à 1994  et médecin dopeur équipe Gan en 1996;  Dr Eric Rijckaert (BEL) : commission antidopage flamande et dopeur équipe Festina

 

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Dr Eric Rijckaert (BEL)

–   Médicalisation de la performance : en opposition aux praticiens « thérapeutes de la performance », Fernand Plas, cardiologue du sport reconnu et professeur à la faculté de médecine de Paris – au décours des années 1960, lors des balbutiements des mesures antidopage – mettait en garde ses confrères contre cette dérive : « Le fait d’être médecine n’atténue pas le danger que peut faire courir l’emploi de certains médicaments ».

6 – Éthique sportive : légaliser la triche (consubstantielle à l’homme de compétition)

    Différentes études démontrent sans détours que la triche est consubstantielle à l’homme et qu’elle concerne au moins 50% des individus.

–  Matches truqués : si le boom d’Internet et des sites de paris en ligne a multiplié les affaires de matches truqués, le sport, sur tous les continents et dans de nombreuses disciplines, est depuis longtemps touché par les affaires liées à des paris [L’Équipe, 09.04.2008].

–  Récemment, le gouvernement français a mis en place toute une série de mesures pour lutter contre la fraude en tous genres : travail au noir, TVA, cotisations sociales, etc.

–  62 % des buralistes vendent des cigarettes aux mineurs (Institut d’enquêtes LH2 pour le Comité national contre le tabagisme, novembre 2011)

–  Avec les médailles et les honneurs attenants (légion d’honneur, avantages professionnels, tremplin pour une carrière politique, etc., les ministres labellisent ‘’exemplaires’’ – en les félicitant sur les podiums  – les sportifs les mieux dopés.

–   Pour les ministres des Sports dirigeant le ‘’ministère de la performance’’, il faut engranger un maximum de médailles prouvant ainsi leur efficacité, peu importe les moyens.

–  En définitive, la haute compétition avec ses travers multiples et variés (violences physiques et verbales, nationalisme exacerbé, mensonges, hypocrisies, etc.) est une très performante « Grande École de la triche ».

7 – Et la jeunesse ?

–  A partir de quel âge autorise-t-on les drogues de la performance ? Qui décide ?

Au final, la libéralisation du dopage s’apparente à la libéralisation de la course aux armements militaires.

 Libéralisation – les effets pervers

L’exemple de la RDA

Les journalistes, sociologues et médecins du sport de terrain tenants de la libéralisation du dopage sous contrôle médical, devraient méditer l’exemple de la RDA où une cohorte de médecins diplômés et experts en dopage ont massacré des centaines de sportifs de l’élite de leur pays.  Le dopage systématique mis en place par l’ancien régime communiste de la RDA a concerné, selon les experts, environ 10 000 athlètes entre le début des années 1970 et la chute du Mur de Berlin en 1989. Bien que cela se soit fait sous contrôle médical d’une armada de médecins, un millier de ces sportifs dopés sont considérés comme gravement malades.

L’ancienne nageuse Karen Koenig, 31 ans, championne d’Europe du 4×100 et 4×200 m crawl en 1985, qui s’était portée partie civile dans le procès de deux des plus hauts responsables sportifs de l’ex-RDA – accusés d’avoir ruiné la santé de dizaines de jeunes athlètes dopés systématiquement pour servir les couleurs est-allemandes face à l’Occident – souhaitait avant tout que les débats contradictoires permettent de mettre en valeur le fait que les sportifs n’étaient pas consentants et ignoraient souvent ce qu’on leur administrait. Elle se félicite de n’avoir développé aucune maladie grave mais craint d’avoir un enfant anormal, au regard de ce qui est arrivé à certaines de ses anciennes camarades. Sur 50 d’entre elles « 10 ont développé un cancer de l’utérus ou ont eu un bébé mal formé » dénombre l’ancienne nageuse.

Parmi les plaignantes, Melle Heidi Krieger, championne d’Europe du lancer du poids en 1986, est devenue Mr Andreas Krieger : à force d’avaler des hormones mâles, elle s’est fait opérer pour changer de sexe.

Le premier à lâcher le morceau de ce dopage à grande échelle sous contrôle médical fut Werner Franke, un ancien cycliste, éminent biologiste du centre d’oncologie de Heidelberg. En collaboration avec sa femme Brigitte Berendonk – lanceuse de poids de niveau international dans les années 1970 – il a rédigé un livre révélant tout le système : « La particularité de l’ex-RDA a été de construire une organisation gouvernementale tentaculaire, impliquant des centaines de médecins et de scientifiques dans un programme gigantesque d’expérimentations génétiques qui rappelle le nazisme. En dépit de nombreuses suspicions, le reste du monde a ignoré cette organisation de dopage institutionnalisé, préférant rendre hommage aux résultats de l’Allemagne de l’Est. Des centaines d’entraîneurs et de médecins sont devenus des spécialistes du dopage, n’hésitant pas à transformer des femmes en androgynes et à traiter les athlètes comme des rats de laboratoire pour des expériences biologiques. »

Différents témoignages d’athlètes confirment que la féminisation des poitrines masculines (gynécomastie : développement exagéré des glandes mammaires chez l’homme) se rencontrait de plus en plus dans les enceintes sportives de RDA. Certains consommateurs chroniques d’anabolisants ont même dû se résoudre à subir une intervention chirurgicale esthétique afin de faire disparaître ces « témoins » gênants. L’hebdomadaire allemand Stern, citant des documents de la Stasi – l’ancienne police secrète de la RDA – rapporte que des haltérophiles est-allemands ont dû subir une ablation des seins durant les années quatre-vingt. Le gonflement et la féminisation de leurs poitrines avaient atteint un stade précancéreux. Parmi les patients du chirurgien se trouve le médaillé de bronze aux JO de Montréal, Peter Wenzel, catégorie poids moyen (76 kg). Outre les cicatrices consécutives à cette opération, les sportifs concernés se plaignaient d’être exposés à des risques aggravés de cancer.

En 2002, le gouvernement allemand a annoncé que deux millions d’euros seront versés en compensation aux athlètes de RDA victimes du programme de dopage systématique « sous contrôle médical » dans les années 1970. « La santé des sportifs d’ex-RDA a considérablement souffert du dopage d’Etat obligatoire » a expliqué le ministre de l’Intérieur, Otto Scilly. Après deux ans de débat, le 14 juin 2002, le Bundestag (Parlement allemand) adopte le projet de loi prévoyant l’indemnisation des victimes du dopage forcé de l’ex-RDA, via un fonds de 2 millions d’euros financé par l’Etat fédéral et par un complément venant de la trésorerie de l’ancien comité olympique est-allemand. Parallèlement, en avril 2006 la réunion de conciliation entre les représentants des victimes et le groupe pharmaceutique Jenapharm, s’est soldé par un échec. Michael Lehner, l’avocat représentant 160 anciens sportifs de haut niveau victimes du dopage systématique dans l’ex-RDA, a regretté l’attitude de Jenapharm « qui n’est pas venu à cette réunion dans l’idée de trouver un accord ». Dans la foulée, l’avocat indique qu’il intente une action en justice contre Jenapharm dont l’Oral-turinabol®, un stéroïde anabolisant, était utilisé par les instances sportives est-allemandes pour doper leurs athlètes. L’association des victimes du dopage réclamait à Jenapharm, filiale du groupe pharmaceutique Schering et au Comité olympique allemand un dédommagement de deux millions d’euros, somme équivalente à celle débloquée par l’état allemand sous la forme d’un fonds d’aide aux sportifs victimes du dopage (DOHG).

Epilogue : le 21 décembre 2006, le groupe pharmaceutique Jenapharm annonce qu’il va indemniser 184 anciens athlètes de haut niveau est-allemands en leur versant une somme de 9 250 euros. « C’est un geste humanitaire et social » a insisté la direction de Jenapharm qui a également débloqué 170 000 euros pour aider l’association d’aide aux victimes du dopage dans le sport est-allemand (DCHG).

Le laboratoire, filiale depuis 2001 du groupe Schering racheté en 2006 par Bayer, a rappelé qu’il n’avait « aucune responsabilité juridique » vis à vis des victimes du dopage qui étaient dopées, souvent à leur insu, par les responsables sportifs du régime est-allemand. « Avec le versement de cette indemnité, nous voulons apporter une contribution pour tenter d’atténuer la peine des personnes concernées » a-t-il indiqué dans son communiqué. En contrepartie, les 184 athlètes indemnisés se sont engagés à renoncer à toute procédure en justice contre Jenapharm.

 « Si on peut dire que le dossier indemnisation est désormais refermé, la souffrance physique des victimes va, elle continuer » a prévenu l’avocat Michael Lehner. Début décembre 2006, le Comité olympique allemand (DOSB) était parvenu à un accord similaire avec 167 anciens sportifs, victime du dopage d’Etat systématique entre 1970 et 1989. Un an plus tard, le 11 octobre, le DOSB annonce que le programme d’indemnisation a été bouclé. Les athlètes ont reçu chacun une somme d’environ 20 000 euros. Le dopage systématique mis en place par l’ancien régime communiste aurait touché environ 10 000 athlètes entre le début des années 1970 et la chute de régime en 1989, mais seuls 167 se sont manifestés auprès du DOSB et 184 auprès de Jenapharm. La prise de produits dopants par ces sportifs souvent mineurs s’est traduite depuis par des troubles psychiques et psychologiques, des leucémies, des cancers du sein, des problèmes de stérilité ou encore des dérèglements hormonaux. Les responsables de Jenapharm ont par ailleurs précisé que l’accord d’indemnisation ne remettait pas en cause les travaux de recherche menés par des universitaires pour connaître son rôle exact dans le système de dopage est-allemand. « Nous voulons avoir une analyse historique en profondeur, mais menée avec respect et honneur » a assuré Jenapharm qui finance ces travaux  de recherche sur VEB Jenapharm, entreprise de l’Etat est-allemand spécialisé dans les années 1960 dans la synthèse d’hormones et stéroïdes anabolisants.

A la suite de la chute du mur de Berlin différents procès à l’encontre des médecins dopeurs et responsables sportifs impliqués dans le dopage d’Etat de la RDA, ont démontré sans ambiguïté que l’ensemble des performances réalisées par les sportifs de ce pays étaient dues pour une partie non négligeable au soutien pharmaceutique. Malgré les révélations documentées d’une triche généralisée par l’expert allemand Werner Franke, le Comité directeur de la Fédération allemande d’athlétisme (DLV) a décidé de garder tous les records nationaux. Même ceux établis par des athlètes dont les noms de code décryptés par Franke figuraient dans les programmes de dopage mis à jour dans les documents de la Stasi (police d’état). La DLV a toutefois accédé à la demande d’Ines Geipel qui souhaitait que son nom soit effacé des tablettes. En 1984, Geipel faisait partie du relais du SC Motor Iena, auteur de la meilleure performance allemande d’une équipe de club sur 4 x 100 m (42’’20). Ce record reste valable mais le nom de Geipel « sera remplacé par une étoile » selon la DLV, aux côtés des noms des trois autres relayeuses qui assurent ne s’être jamais dopées. Afin de stimuler la réflexion de tous ceux qui préconisent la libéralisation du dopage, même « encadré médicalement » à la lumière de l’exemple de la RDA, rappelons ce qu’écrivait en 1959 Fernand Plas (*), l’éminent cardiologue du sport : « Le fait d’être médecin n’atténue pas le danger que peut faire courir l’emploi de certains médicaments. »

(*)   Médecine, éducation physique et Sport, 1959,12,  n° 3, p 131

 

Une réflexion au sujet de « Le dangereux mirage de vouloir légaliser le dopage »

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