La suspicion légitime écrase la présomption d’innocence

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Le sport de haut niveau et particulièrement le Tour de France n’échappent pas à l’acide du doute.

Les premiers contrôles antidopage sur la Grande Boucle voient le jour en 1966. Bilan des courses : « Les analyses pratiquées après les contrôles effectués sur le Tour de France et le Tour de l’Avenir révèlent que 52 % des professionnels ont utilisé des stimulants et les amateurs 22 % », soulignait le rédacteur en chef de L’Équipe et responsable de la rubrique cyclisme, Jacques Marchand.

Le massacre des innocents continue dans la dernière décennie du siècle. Analysés rétrospectivement, les échantillons urinaires des coureurs de la Grande Boucle 1997 révèlent un taux de positifs aux corticoïdes de 80% lors de la deuxième semaine de course !

67 % des géants positifs à l’ÉPO

 En 1998, les analyses des échantillons prélevés lors du Tour de France, avaient révélé a posteriori – le test de détection de l’ÉPO n’ayant été validé qu’en septembre 2000 – que sur soixante-dix flacons d’urine, quarante étaient positifs à l’hormone phare des années 1990, soit 67%. En fin de compte, depuis la renaissance du Tour après guerre en 1947, la presque totalité des vainqueurs aura trempé dans la marmite de la potion magique. De Jean Robic à Chris Froome en passant par Alberto Contador tous, à des degrés divers et à l’exception incertaine de Greg LeMond, ont été impliqués dans des affaires de dopage. Sous forme d’aveux des lauréats, de témoignages à charge, de contrôles positifs mais aussi d’appartenance à des teams suspects (équipes, staffs…). La sommation des faits démontre l’impossibilité logique de se réfugier derrière le concept de présomption d’innocence, alibi commode brandi par les défenseurs du statu quo. Au nom d’un légalisme prompt à fermer les yeux sur des pratiques dopantes qui constituent la norme, et non l’exception, à toutes les époques. Dès lors, nous sommes légitimement fondés à renverser la charge de la preuve. Et à invoquer la suspicion légitime, s’agissant des géants de la route mais aussi des autres spécialités sportives très médiatisées (athlétisme, football, natation, rugby, etc.)

92 % des ‘’supermanchots’’ étaient prêts à tricher

 Par exemple, dans le sport-roi, une enquête de la Fédération internationale (FIFA) en 2002, a montré que 92 % des footballeurs étaient prêts à tricher pour le gain du match.

Au lendemain de la révélation du dopage d’Armstrong du Tour 1999 dans L’Équipe, Jean-Marie Leblanc répliquait avec une rhétorique toute jésuitique qu’« on ne pouvait s’y attendre même si la personnalité de Lance Armstrong était controversée, sujette à une certaine méfiance à côté de l’admiration qu’il suscitait, concède-t-il. J’oscillais pour ma part entre l’admiration et la prudence à cause des articles, des procès en cours. On peut dire qu’il n’a pas fait sept ans de vélo sur le cours d’un fleuve tranquille… Dès la première année, en 1999, il y a eu suspicion.» «  On ne pouvait s’y attendre… »

Pour toute réponse, Armstrong avant ses aveux en janvier 2013 hurlait au piétinement de la présomption d’innocence, sur fond de complot ourdi par des Français mauvais joueurs. « Le dossier que les Français montaient contre moi s’épaississait. On me voyait en photo sur la couverture, remontant les Champs-Élysées avec un drapeau, en vainqueur du Tour de France. On y avait ajouté en surimpression l’image d’une seringue… Tant pis pour la présomption d’innocence » s’indignait-il dans son deuxième livre autobiographique.

Poursuivi par une quincaillerie ambulante

Feignant d’ignorer l’existence de substances indécelables par les laboratoires, l’Américain use et abuse de l’artifice mille fois resservi du « pas vu pas pris ». « Est-ce que j’ai été pris à un contrôle antidopage ? Non. Est-ce que j’ai déjà été positif à un contrôle à l’ÉPO ? Non. Ce n’est quand même pas de ma faute si le cyclisme est regardé avec suspicion.» Il est vrai qu’au sens juridique du terme Lance Armstrong n’a jamais été contrôlé positif. Pouvait-on encore comme l’affirmait le journal Sport, « accorder à cet athlète le plus contrôlé de la planète, le bénéfice du doute, mieux, la présomption d’innocence.» Car jusqu’en 2012, une multitude de preuves testimoniales et matérielles accablaient le coureur américain.

Entre 1947 et 2014, se sont succédé de Jean Robic à Vincenzo Nibali, trente-sept lauréats de la « casaque d’or ». Mis à part peut-être l’Américain Greg LeMond, triple vainqueur de la Grande Boucle, qui a su passer entre les gouttes de la suspicion, chaque vainqueur a été confronté à des contrôles positifs, des aveux, des témoignages à charge et des relations sulfureuses. En utilisant la métaphore de la casserole, on peut résumer que dans ce peloton de trente-six unités moins ‘’une’’, chacun d’eux en traîne quelques-unes alors que Lance Armstrong était poursuivi par une quincaillerie ambulante.