Note de lecture – « Souvenirs d’un magnétiseur » par Jean-Louis Noyès

Par défaut

magnetiseur

Depuis les années 1950, le peloton des mages, magnétiseurs et autres radiesthésistes n’a fait que se densifier. Le journaliste Roger Frankeur – grand témoin de cette époque – explique avec une grande lucidité cette attraction du milieu sportif, notamment cycliste pour ces personnages diplômés par le ‘’téléphone arabe’’ :

« Pour résister au feu dévorant de la compétition à la terrible usure d’un métier épuisant et dangereux, le routier doit certes croire en lui, en sa propre force, voire en sa supériorité sur les autres ; mais comment n’éprouverait-il pas le besoin de quelque renfort, de quelque adjuvant dont les vertus lui sembleront d’autant plus évidents qu’elles échappent aux froides explications de la raison. Le sportif de haute compétition est par définition un être de foi, d’enthousiasme. Le scepticisme, l’esprit critique, le doute inhibant ne sont pas son affaire. Sans doute, ces merveilleux fous pédalants vivent-ils avec leur temps. La médecine officielle, la pure préparation biologique gardent leur préférence dans leur quête, inquiète du rendement musculaire optimum. Cependant, il n’est pas mauvais non plus de mettre tous les atouts dans son jeu. Certains peuvent paraître bizarres mais Pierre, Paul et Jacques n’affirment-ils pas en avoir tiré en grand profit ? Sait-on jamais ? Pourquoi se priver d’une passe magnétique, d’un gri-gri, d’une tisane ou d’un remède de bonne femme, desquels un succès peut dépendre. Les plus grands ne s’en sont-ils pas parfois bien portés ? »  1

 Que si le patient y croit…

Même si l’ouvrage de Jean-Louis Noyès a été publié en 2002, je ne l’ai lu que très récemment. Je ne vais pas faire un cours sur le magnétisme d’autant que l’auteur lui-même affirme que ce pouvoir des mains ne fonctionne que si le patient y croit. C’est le même débat qui alimente l’homéopathie. A ce jour, aucune étude scientifique en double aveugle n’a pu démontrer l’efficacité thérapeutique de la méthode des dilutions et pourtant ils sont nombreux à être convaincus des effets des granules. En revanche, le natif de Livry-Gargan va nous raconter ses rencontres avec des patients cyclistes de renom qu’il a soigné tout au long de sa carrière de magnétiseur. Le préfacier, Daniel Pautrat, journaliste de télévision ayant suivi de nombreux Tours de France, vante les aptitudes mnésiques de ce titi parisien que Maurice Chevalier adorait : « Il n’a pas la mémoire qui flanche, il connait par cœur les dates de naissance de tous ceux qu’il aime et ils sont nombreux », c’est bien possible mais en revanche sur les évènements cyclistes, c’est moins net !

 Un ver solitaire tenace

Pages 104-105 : « Depuis le Critérium du Dauphiné libéré 1965 qu’il a remporté avec brio, Anquetil est handicapé par la présence d’un ver solitaire. Le départ du Tour d’Espagne est imminent. Malgré un traitement radical – un tubage, autrement dit l’injection d’un liquide dans le conduit intestinal afin d’éliminer le ténia – et une hospitalisation de 48 heures, Jacques n’est pas sorti d’affaire. Le traitement l’a littéralement mis à plat, et le ver solitaire est toujours là, indélogeable. Les soins d’un herboriste se révèlent enfin fructueux, tout en affaiblissant davantage son état général. Le compte à rebours est commencé. L’épreuve ibérique débute dans moins d’une semaine. Jacques m’appelle à la rescousse. Je lui prodigue plusieurs séances de soins qui, cette fois-ci, ne seront pas préventives. Et réussis à le requinquer rapidement. Je le remets sur pied, en préconisant des restrictions alimentaires. Un régime? Anquetil ignore ce mot. Après un départ laborieux – jambes en coton, manque d’influx nerveux – du Tour d’Espagne, la fougue reprend le dessus. Il renonce au régime, se remet à la bière, au champagne, Ces excès ne l’empêcheront pas, bien au contraire, de remporter haut la main le Tour d’Espagne. »

En réalité, la chronologie des faits racontée par Noyès est totalement fantaisiste. Le ver solitaire s’est manifesté à la fin du Dauphiné Libéré 1963 (et non 1965). Ce n’est pas le Tour d’Espagne qui pose problème puisqu’il s’est couru du 1er au 15 mai, mais le Tour de France 1963 qui démarre le 23 juin – soit quinze jours après le Dauphiné Libéré. Résumons : à l’époque, le Tour d’Espagne précède le Dauphiné Libéré qui, lui-même, se déroule avant la Grande Boucle.

Que d’erreurs…

Page 106 : « Lors de l’édition 1960 de Paris-Roubaix, je me suis retrouvé aux côtés de l’ancien mécanicien de Fausto Coppi, et Tom Simpson roulait à la hauteur de notre Jeep. À 50 km de l’arrivée, je l’ai vu sortir un tube, en extraire quelques comprimés, et les avaler. 25 km plus loin, il a avalé le restant du tube – ce qui a coïncidé avec son accélération fulgurante. Derrière lui, tous les sprinters étaient lâchés … Simpson, le champion du monde, n’a pu maintenir ses cinq minutes d’avance sur le peloton à 20 km de l’arrivée, et il a fini 75e. Sans doute avait-il pris ses comprimés trop tôt… »

En réalité, à part l’année 1960, les autres chiffres sont faux. L’avance de l’Anglais n’a jamais dépassé 1’25 sur le peloton et il a fini 9e et non 75e à Roubaix. Dernier détail erroné : cette année là, Simpson ne porte pas le maillot irisé, il ne sera champion du monde qu’en 1965. En ce qui concerne ses commentaires sur le dopage du Major Tom, on n’est pas obligé de croire Noyès.

 Dopage et cancer : la suspicion est légitime

Page 106 : « Pour avoir soigné Jacques Anquetil pendant plusieurs décennies, je suis en mesure d’affirmer qu’il n’est pas mort des suites du dopage, contrairement aux rumeurs. »

C’est trop facile d’affirmer de façon péremptoire que les drogues de la performance n’ont rien à voir dans le décès prématuré du Normand à l’âge de 54 ans alors qu’il ne s’est jamais caché de ses excès en tous genres (alimentation, alcool, drogues, etc.). D’un autre côté, il est tout aussi peu scientifique d’affirmer que les aides artificielles ont favorisé la survenue du cancer de l’estomac. Mais le bon sens autorise le doute

Page 107 : « Anquetil est le premier coureur à avoir remporté les trois grands Tours (France, Italie, Espagne). Sans parler des records de l’heure qu’à plusieurs reprises il pulvérisera. »

En réalité, le qualificatif ‘’pulvériser’’ à propos du record de l’heure est pour le moins exagéré. En 1956, Anquetil le fait progresser de 311 mètres et en 1967 de 347 mètres (il ne sera pas homologué pour refus du contrôle antidopage). Rien à voir avec les avancées kilométriques de Francesco Moser (1,719 km), de Tony Rominger (2,251 km), de Chris Boardman (1,084 km) et Bradley Wiggins (1,589 km).

Probablement que si Jacques Anquetil avait respecté son corps en lui fournissant une alimentation adaptée à l’effort maximal d’un record de l’heure, il aurait atomisé la distance parcourue en 60 minutes. Noyès rappelle le régime spécial record consommé la veille, soit le 28 juin 1956 : « Je n’ai pas d’autre exemple d’un champion doté d’un si redoutable appétit qu’Anquetil. Aucun sportif de haut niveau, je crois, ne pouvait se permettre autant d’écarts de régime, autant d’excès gastronomiques. La veille au soir de son record de l’heure, à Milan, n’a-t-il pas mangé deux douzaines d’escargots, six andouillettes et des frites ? »

Page 124 : « En 1959, le Tour de France passait par Colombey et le peloton, en un unanime hommage, s’était arrêté pour saluer le Général. »

En réalité, cette salutation du peloton au grand homme s’est déroulée lors de la 20e étape Besançon-Troyes le 16 juillet 1960. C’est probablement une erreur de frappe due à un manque de concentration lors de la relecture de l’auteur et de l’éditeur.

 Un discours médical pifométrique

 Mis à part ses trous de mémoire sur les courses cyclistes, les notions médicales du magnétiseur des géants de la route sont pour le moins approximatives. Par exemple, page 12, Noyès nous raconte : « Au cours de la conversation, ma mère apprend que le mari, maçon de son état, a le cœur décroché depuis une chute d’échafaudage. » Même dans un dictionnaire non médical, il n’existe pas de traduction de cette expression. Difficile de comparer le coeur avec un chapeau qui dégringole d’un porte-manteau ! En revanche, on trouve dans le langage populaire une formule approchante : « il faut avoir le cœur bien accroché » qui se traduit par ‘’ne pas être facilement écœuré, dégoûté’’ mais dans ce dernier cas rien à voir avec un problème cardiaque.

Page 49 : « Après plusieurs séances, les hernies, les unes après les autres, sont rentrées dans leur cavité. » (sic)

Faire croire que l’on peut régler un problème de hernie, notamment inguinale, crurale, abdominale par le magnétisme est une imposture. D’ailleurs, Noyès l’admet : « L’intervention chirurgicale est le seul moyen de mettre le malade à l’abri des complications, en remettant l’organe en place. »

Page 54 : faire pousser un cal osseux sur une pseudarthrose (non consolidation des deux extrémités d’une fracture formant une fausse articulation incapable de se souder sans greffe) évoluant depuis un an, ne se lit que dans un ouvrage sur le magnétisme.

‘’L’homme de mains’’ d’Anquetil affirme avoir le pouvoir de faire pousser de l’os entre deux parties qui n’ont aucune tendance à souder naturellement ; en revanche sur la page suivante, il admet : « J’ai beau être magnétiseur, je ne peux faire repousser du cartilage.»

Page 152 : « Je crains que l’appendice ne soit rétrosécal» En réalité, l’appendicite peut être placée derrière le coecum (gros intestin) et l’on écrit rétrocoecal. L’on a du mal à croire que c’est seulement une faute de frappe !

Même si cet ouvrage est encombré d’imprécisions dommageables pour la qualité du document, il peut trouver sa place dans la bibliothèque d’un passionné de cyclisme car c’est un témoignage d’un parcours unique ayant permis à Noyès de fréquenter à de nombreuses reprises un bon nombre de géants de la route des années 1950-1960 côtés tels qu’Anquetil, Coppi, Bobet, Darrigade, etc.

1 Roger Frankeur. – Mains magiques et bouts de ficelles. – Miroir du Cyclisme, 1974, n° 181, janvier, pp 36-38