TDF 1974 – Gerbens Karstens, un récidiviste du tripatouillage d’urine

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Sur le 61e Tour de France, il sera ‘’sauvé’’ par Félix Lévitan lequel sortira de sa manche un énigmatique « et cetera »

 A la suite de la quatrième étape St-Malo-Caen du Tour de France 1974, le Néerlandais Gerben Karstens de l’équipe Bic, un routier-sprinteur, expert en matière de fraude au contrôle antidopage et postulant au maillot jaune fut d’abord pénalisé pour carence – ne s’est pas présenté dans les délais réglementaires après l’arrivée sur l’hippodrome de Caen – puis amnistié après de savantes tractations orchestrées par Félix Lévitan, l’un des patrons du Tour. Un communiqué officiel fit état du retard du coureur néerlandais motivé « par la circulation intense en ville… etc… » alors que la caravane du contrôle se trouvait à quelques mètres de la ligne d’arrivée ! 

En réalité, ce long temps de latence entre l’arrivée de l’étape et la présentation du coureur devant les officiels du contrôle était mis à profit pour organiser à son hôtel la substitution d’urine : soit par siphonnage de la vessie ou alors par fixation au cuissard d’une poire remplie d’urine vierge. 

Déclassé pour avoir oublié le contrôle 

Gerben Karstens de l’équipe Bic, a fait l’objet d’un « constat de carence » pour ne pas s’être présenté dans les délais impartis au contrôle médical obligatoire pour les deux premiers de l’étape, chaque jour, pour le porteur du maillot jaune au départ de l’étape et pour deux coureurs désignés par tirage au sort quotidiennement. Karstens se trouvait ainsi, comme le veut le règlement, déclassé de sa 2e place prise au terme de la 4e étape St-Malo-Caen, pénalisé de dix minutes, frappé d’une amende de 1 000 F suisses (équivalent à 1 200 euros d’aujourd’hui) et d’un mois de suspension avec sursis. Karstens aurait oublié de satisfaire au contrôle antidopage en tant que second… Il s’en est rappelé en revenant à son hôtel et s’est précipité pour voir les commissaires car le contrôle était fermé. Ceux-ci furent intransigeants et ont dressé un certificat de carence. Karstens qui a tenté de plaider sa cause auprès des responsables, en compagnie de son directeur sportif Maurice de Muer 1, parle d’abandonner. « Après l’arrivée, j’ai été occupé très longtemps avec les radioreporters pour les interviews et j’ai ensuite complètement oublié que je devais me présenter au contrôle. Je ne m’en suis souvenu qu’en arrivant à mon hôtel. Je suis alors revenu à l’hippodrome où il n’y avait plus personne puis à la permanence où les responsables du contrôle n’ont pas voulu recueillir mes urines. J’étais pourtant de bonne foi. J’étais sur ce Tour de France pour porter le maillot jaune dans les premières étapes. Maintenant, je n’ai plus rien à y faire. Je préfère rentrer aux Pays-Bas. » 2

La déception de Karstens justifiait bien sûr de tels propos mais l’argumentation du médecin- contrôleur était inattaquable : « Ce délai de trente minutes, ce sont les coureurs eux-mêmes qui l’ont réclamé quand nous avons établi les modalités de fonctionnement du contrôle. Il n’y a donc pas à revenir là-dessus. Les flacons étaient déjà partis quand Karstens est venu nous voir. Le constat de carence était dressé. » 3

 Menace de grève

 « Après notification du déclassement par un communiqué émanant du jury des commissaires, un vent de révolte a soufflé sur le peloton. Le directeur sportif de Karstens, a entrepris une série de consultations avec les autres directeurs sportifs pendant que Cyrille Guimard, le président de l’Union nationale des coureurs professionnels, contactait les coureurs et Eddy Merckx en particulier. « De toute façon, les coureurs suivront les directives que leur donneront les directeurs sportifs, indiquait Guimard dans la soirée. Nous voulons le remplacement de l’inspecteur de l’Union cycliste internationale (UCI), M. Menilio, qui a fait preuve d’un zèle aveugle dans ses fonctions de contrôleur pour le service médical. A l’arrivée à Saint-Malo déjà, il avait dressé un constat de carence au sujet de Régis Délépine, alors que le pauvre avait été transporté en ambulance à l’hôpital. Karstens, à Caen, était de bonne foi. Il est revenu pour subir le contrôle, avec du retard c’est exact, mais nous pensons que les responsables auraient dû montrer un peu plus de souplesse. » 4

Rien n’est encore décidé sur la forme que prendra le mouvement de contestation mais Cyrille Guimard a indiqué que pour obtenir satisfaction, les coureurs étaient prêts à faire la grève du contrôle jusqu’à ce que l’inspecteur de l’UCI soit remplacé.

Sanctions suspendues 

Le Tour de France n’est pas sérieux. L’affaire Karstens a tourné complètement casaque en effet. Avant le départ des coureurs pour Dieppe, terme de la cinquième étape, un vent de fronde avait soufflé depuis la veille et des menaces de grève du contrôle antidopage hypothéquaient même l’arrivée de cette étape. Karstens lui-même parlait d’abandonner et de regagner les Pays-Bas. Au fil des discussions de la journée, une solution s’est donc dégagée. Ce n’est encore qu’un compromis mais il a pourtant satisfait les deux parties. En effet, une réunion s’est tenue entre le jury des commissaires et Maurice de Muer, directeur technique du coureur pénalisé pour s’être présenté au contrôle médical hors des délais à l’arrivée de la quatrième étape. Il a été convenu de demander à Karstens de se soumettre une nouvelle fois au contrôle à son arrivée à Dieppe. Le prélèvement sera envoyé au laboratoire aux fins d’analyse. Dans le cas où les résultats seraient négatifs, les sanctions frappant Karstens (c’est-à-dire : déclassement de sa deuxième place à l’étape de Caen, dix minutes de pénalisation, un mois de suspension avec sursis, de 1 000 francs suisses d’amende) seraient définitivement annulées. En revanche, en cas de contrôle positif, elles seraient maintenues. Pour l’heure, donc, ces sanctions sont suspendues, ce qui laisse les classements en l’état et ce qui permit à Karstens d’être au départ de l’étape en fin de matinée. En ce qui concerne l’inspecteur de l’UCI, M. Dominicio Menilio qui a dressé le constat de carence contre Karstens, il a simplement déclaré : « Mon rôle dans ce Tour est de constater si les règlements sont oui ou non observés. Dans le cas de Karstens, hier, ils ne l’étaient manifestement pas. Je n’ai pas pouvoir, par ailleurs, de m’opposer aux décisions du jury. » 5 Merckx, pour sa part, a nié avoir jamais déclaré qu’il participerait à une grève éventuelle du contrôle. Il a admis que Karstens pouvait bénéficier de circonstances atténuantes, certes, mais le règlement est le même pour tous.

Siphonner sa vessie

On ne doit pas oublier, tout d’abord, que ce sont les coureurs eux-mêmes qui ont fixé à trente minutes le délai extrême de présentation devant le médecin et cela afin de limiter au maximum les tricheries éventuelles. Car l’une d’elles consiste, lorsque l’on s’est dopé, à siphonner sa vessie – avec les risques énormes que cela suppose – c’est-à-dire procéder, par le truchement d’une sonde vésicale, à une mutation divine. Cette pratique douloureuse déjà ancienne demeure encore rare mais elle existe. Aussi, tout coureur qui passe au préalable par son hôtel, apparaît-il particulièrement suspect surtout lorsqu’il se présente une heure après la clôture des délais. Ce qui était précisément, à Caen, le cas de Gerben Karstens lequel dans le passé avait déjà eu des différends avec le contrôle médical au point même de se voir retirer sa victoire dans le Tour de Lombardie 1969. Voilà qui explique la sanction des commissaires.

Communiqués du Jury International

 A la permanence de chaque étape, se trouvent réunis dans une grande salle, les différents services de l’organisation ainsi que les officiels, notamment le jury international de la course qui, par des communiqués, informe les concurrents et la presse de ses décisions. Ainsi, après le déclassement du coureur néerlandais qui a fait appel de la sanction, les commissaires publient deux communiqués numérotés 3 et 4 :

TDF Blog

 L’appel de Karstens – A la suite du constat de carence dressé contre le coureur Karstens, le jury des commissaires a été saisi d’une réclamation du coureur et de son directeur sportif, exposant les motifs pour lesquels ce coureur s’est présenté en retard au contrôle médical. Après enquête et compte tenu des circonstances particulières (éloignement de l’hôtel, circulation intense en ville… etc…) le jury considère que le prélèvement doit s’effectuer dans les meilleurs délais. – Un avertissement – À la suite de l’enquête effectuée, il est apparu que le coureur Karstens, qui a fait l’objet d’un constat de carence aux opérations de contrôle médical de la quatrième étape, devait bénéficier de circonstances atténuantes. Considérant qu’il s’est présenté – avec retard bien sûr, mais présenté tout de même – pour le prélèvement, le jury international demande au médecin du contrôle et à l’inspecteur médical de bien vouloir effectuer un prélèvement aujourd’hui, à l’issue de la cinquième étape. Il reste entendu que cette mesure exceptionnelle ne saurait constituer un précédent et ne pourra justifier, ni absoudre, à l’avenir le retard d’un coureur. La sanction prise à l’encontre du coureur Karstens est annulée. » 6

L’éditorial de Jacques Goddet

L’un des patrons du Tour, Jacques Goddet, dans son édito quotidien daté du lendemain de la 4e étape, aborde un sujet qu’il maîtrise mal car, selon lui, il faut fustiger les Kartsens et ne pas mettre dans le même sac les coureurs sérieux : « Le sport cycliste, dans les rigueurs de son expression moderne, contient des clauses de moralité qui, à mon avis, conditionnent son avenir et, par conséquent, doivent être respectées. Le nouvel incident qui mit en émoi la nuitée caennaise, concernant le contrôle antidoping de Karstens, a montré que le problème demeurait en pleine confusion du point de vue de son interprétation. Disons d’abord qu’il est bien regrettable que le sujet continue à faire les délices de ceux qui sont spécialisés dans la chasse aux scandales. Affirmons que les coureurs qui respectent la fameuse clause et, à leur tête, ceux qu’ont peut considérer comme les plus sérieux, Eddy Merckx, Raymond Poulidor par exemple, sont pour l’application rigoureuse des règles du contrôle. Et qu’ils n’ont pas songé un instant, à Caen, à se rendre solidaires d’un quelconque mouvement de protestation contre les mesures appliquées de la manière la plus pratique et la plus décente qui soit : pièce de contrôle ambulant Aspro parfaitement aménagée, parfaitement visible, accueil excellent. » 7

Ensuite, dans le même texte à la une de L’Équipe, Goddet s’interroge sur cette carence et sa véritable signification : « Le fait de ne pas se présenter à ce petit laboratoire dans le délai prévu de trente minutes après son arrivée ne peut recevoir d’explication convenable. Le fait de revenir spontanément à la permanence du Tour, une heure et quelque plus tard, pose un cas clinique tellement grave que l’on doit comprendre toute la rigueur de la réglementation. Les médecins compétents m’ont confirmé, en effet, qu’il était possible de se livrer dans un aussi court laps de temps, à une opération de nettoyage, de « siphonnage », susceptible de permettre d’évacuer toute trace de substances dopante appartenant aux familles interdites. Et qu’une telle « opération » constituait du point de vue de la pratique médicale, un véritable acte criminel, car elle présente le risque d’entraîner des accidents pouvant être mortels. Aucune personne sérieuse engagée dans le sport cycliste ne peut accepter d’être complice d’actes aussi condamnables. » 8

Témoignage du docteur Jean-Pierre de Mondenard

A l’époque, médecin fédéral, la Fédération française de cyclisme (FFC) nous avait désigné pour assumer le contrôle antidopage du Tour de France. Un inspecteur médical, l’Italien Dominicio Menilio mandaté par l’Union cycliste internationale (UCI), jouait le rôle d’huissier. Nous étions situés aux abords immédiats de la ligne d’arrivée au moment où Patrick Sercu a remporté au sprint devant Gerben Karstens l’étape St-Malo-Caen. La caravane du contrôle antidopage était placée à vingt mètres du poteau. Nous avons tout de suite prévenu Maurice de Muer, le directeur sportif de l’équipe BIC et du coureur batave, que ce dernier en finissant second, devait dès les opérations protocolaires terminées, se rendre au contrôle ; de Muer avait acquiescé, signifiant qu’il avait bien enregistré notre message. Rappelons qu’à la demande des coureurs et afin d’éviter toute possibilité de substitution d’urine, les concernés doivent se présenter au plus tard trente minutes après leur passage de la ligne. Les quatre autres coureurs : le 1er de l’étape Patrick Sercu, le maillot jaune du jour Eddy Merckx et deux tirés au sort, ont satisfait aux opérations de prélèvement dans les temps impartis. Au bout d’une heure trente après le déboulé victorieux de Sercu, l’inspecteur médical Menilio a dressé un constat de carence à l’encontre de Karstens qui ne s’était toujours pas présenté. Dès sa réception, le président du jury international, André Chadelle, a pris les sanctions inhérentes à ce genre de situations qui s’apparente sur le fond à un contrôle positif : déclassement à la dernière place de l’étape, dix minutes de pénalisation et 1 000 F suisses d’amende.

A ce moment-là, ayant rempli ma mission quotidienne, je me trouvais devant le Hall Sorel où s’était installée la permanence regroupant les services techniques du Tour de France et la presse. Il y avait là Félix Lévitan, Jacques Goddet et Jacques Anquetil, tous les deux en grande discussion sur le dopage et moi-même. Sur ce, Jacques Lohmuller – un ancien pistard assurant la fonction de chef des services sportifs – est venu prévenir Félix Lévitan que Karstens était déclassé pour carence. Le codirecteur du Tour lui rétorque : « Bien fait pour lui, il n’avait qu’à respecter le règlement ». Lohmuller ajoute : « Mais il est à deux secondes du maillot jaune ».

” et cetera…”Sans lui répondre, Lévitan se précipite vers la permanence où se trouve le jury des commissaires. Dans la soirée, après quelques « pressions appuyées », André Chadelle le président du jury, sort un communiqué « réhabilitant » Karstens : « A la suite du constat de carence dressé contre le coureur Karstens, le jury des commissaires a été saisi d’une réclamation du coureur et de son directeur sportif, exposant les motifs pour lesquels ce coureur s’est présenté en retard au contrôle médical. Après enquête et compte tenu des circonstances particulières (éloignement de l’hôtel, circulation intense en ville… etc…), le jury considère que le prélèvement doit s’effectuer dans les meilleurs délais. »

Ce texte sera lu par Lévitan sur les ondes de radio-Tour au départ de l’étape suivante.

On ne peut être que dubitatif sur la signification réelle du terme « etc. » figurant dans les circonstances atténuantes invoquées par Maurice de Muer, son coureur et le communiqué du jury des commissaires de l’épreuve. Dans le genre langue de bois, difficile de faire mieux. « Eloignement de l’hôtel, circulation intense en ville et… etc… » Rappelons que le local pour le contrôle était placé à… vingt mètres après la ligne d’arrivée. Pour que la morale sportive soit respectée, le jury a décidé que Karstens devait se présenter une nouvelle fois au contrôle à son arrivée de l’étape du lendemain à Dieppe. Au final de l’affaire, le seul à être inquiété sera l’inspecteur UCI. Au mois de décembre 1974, dans Le Monde cycliste, organe officiel d’information de l’UCI, lors de la réunion du comité directeur le 27 novembre, il va être débattu du cas Menilio : « Étant donné la situation qui s’est créée autour de l’infraction de l’inspecteur de l’UCI au Tour de France, on a décidé de poursuivre l’affaire, spécialement au sujet de certaines « pressions » exercées sur lui. (Il a accepté de faire le prélèvement 24 heures après l’arrivée du coureur).

Malheureusement pour la vérité historique Le Monde cycliste ne donnera plus d’informations sur l’épilogue du constat de carence de Karstens.  Pour autant, les tribulations du routier-sprinteur Bic avec le contrôle antidopage et l’auteur de cet ouvrage ne sont pas terminées.

Contrôles antidopage

Date Compétition Substances ou carence Sanction Défense
11.10.1969 Tour de Lombardie Stimulant (substitution d’urine avec celle de son soigneur qui, lui aussi, était ‘’chargé’’) Déclassé ’Je n’ai pris aucun produit interdit, j’en suis sûr’’

L’Équipe, 08 novembre 1969

01.07.1974 Tour de France

4e étape St-Malo – Caen

Carence Non sanctionné

Pression des organisateurs sur l’inspecteur UCI

’A oublié le contrôle’’
29.09.1974 Tours-Versailles Substitution d’urine – Hors course

– 1 mois avec

sursis

– 1 000 FS

Pris sur le fait « la poire dans le cuissard »

 Tours-Versailles : la récidive

Le Néerlandais Karstens, à l’arrivée de la course Tours-Versailles du 29 septembre 1974 qu’il avait remportée au sprint, présenta un flacon d’urine provenant d’une « poire » préparée à l’avance et dissimulée dans son cuissard. Le rapport officiel ayant été divulgué, le médecin mandaté par la Fédération française de cyclisme révèle la substitution d’urine : « Il y a eu constat de tricherie. L’urine qu’a donnée Karstens n’a pu être analysée étant donné que ce n’était pas la sienne. Nous lui avons laissé sa chance en lui proposant de prélever son urine sur-le-champ. Karstens a dit que cela lui était impossible, qu’il allait aux douches et qu’il revenait. A cet instant, le délégué de l’UCI lui a signifié que s’il sortait de la caravane, c’était fini pour lui. Après des hésitations, Karstens a finalement quitté la caravane. Le coureur est revenu dix minutes après avec son directeur sportif, Maurice de Muer, en demandant de satisfaire au contrôle antidopage. Il lui a été répondu que c’était terminé, le constat de carence ayant été établi dès dimanche soir, la disqualification de Karstens ne faisait aucun doute. » 9

Selon certaines indiscrétions, Karstens aurait dissimulé dans un pli de son cuissard une poire en caoutchouc contenant une urine prélevée bien avant la course. Maurice de Muer, directeur sportif de Karstens, n’a pas été étonné de la disqualification du Néerlandais. « Je ne suis pas surpris, je savais dès dimanche que c’était « cuit ». Disons qu’il n’a pas eu de chance. De nombreux coureurs utilisent ce procédé dans se faire prendre. Je n’ai rien à ajouter. Pour moi, Karstens a gagné Tours-Paris. Il aura la prime de 5 000 F (équivalent à 3 700 euros d’aujourd’hui) que je lui avais promise en cas de victoire. C’est le système de contrôle antidopage qui est à revoir. Il est blessant pour un coureur de faire ce contrôle en présence d’un médecin. » 10

Controle médical

Emmitouflé dans un anorak pour affronter l’Everest

Aujourd’hui, trente-huit ans après les faits, nous pouvons témoigner sur ce qui s’est réellement passé dans la caravane du contrôle médical. Karstens, spécialiste des courses d’un jour, remporte sous un chaud soleil, une classique de fin de saison. Comme le règlement l’impose, les trois premiers et deux coureurs tirés au sort doivent se présenter au contrôle antidopage. Cette investigation se déroule habituellement à l’abri des regards indiscrets, dans une caravane réservée à cet effet et située aux abords de la ligne d’arrivée. A mon grand étonnement – nous étions le médecin mandaté pour le prélèvement des liquides biologiques – le Néerlandais lauréat de l’épreuve se présente emmitouflé dans un anorak style vainqueur de l’Everest alors qu’il fait plus de 20°C.

Nous l’invitons à satisfaire à l’opération en le prévenant que seules seront prises en compte les urines provenant réellement de sa vessie. Cette mise en garde était loin d’être superflue dans la mesure où le garçon avait déjà eu dans le passé des difficultés avec le contrôle médical et son accoutrement laissait présager quelques manœuvres sournoises !

Alors qu’en course, devant les caméras de la télévision, il arrosait sans retenue les objectifs braqués sur la scène toujours acrobatique des routiers se livrant, tout en roulant, à l’opération-pipi, là, avec pour seuls témoins le médecin et le contrôleur UCI, il invoque sa pudeur et sa timidité à opérer de visu. Uriner, d’accord, mais en tournant le dos, tel est son credo.

Insistance énergique de notre part, petit ballet autour de lui pour tenter d’y voir quelque chose derrière les pans de son harnachement et le flacon qui se remplit silencieusement, sans le bruit caractéristique du jet frappant les parois du récipient en verre. Bien entendu, manœuvre classique du falsificateur, l’urine s’écoulait de la tubulure d’une petite poire en caoutchouc dissimulée dans les plis de son cuissard. Il fut déclassé et sanctionné lourdement pour fraude caractéristique au contrôle antidopage.

Effets collatéraux

Les contrôles ayant impliqués Gerben Karstens en 1974 à la fois lors du Tour de France et, ensuite à l’arrivée de Tours-Versailles, vont modifier le parcours, dans le milieu cycliste, des principaux protagonistes.

    • André Chadelle, président du jury des commissaires.
    • Après l’épisode de la carence du Batave à l’hippodrome de Caen, le dirigeant de la FFC refera une seule fois le Tour l’année suivante.
  • Jean-Pierre de Mondenard, médecin fédéral des contrôles antidopage

 

    • La sanction tombe comme un couperet le dimanche suivant 6 octobre, lors du Grand Prix des Nations. Arrivé à Angers, où se déroule la course, je reçois la visite impromptue d’Albert Bouvet, le bras droit de Lévitan. Alors qu’habituellement, j’officiais à la fois comme médecin de course et à l’arrivée des épreuves comme médecin-contrôleur, Bouvet m’annonce : « Tu ne seras pas médecin de la course, tu t’occuperas juste du contrôle. » Ils savent pourtant que je suis passionné de vélo, j’ai montré que je suis performant et on me sanctionne ! Je sens que je n’ai pas le soutien total de ma hiérarchie, le Dr Pierre Dumas – le médecin fédéral national – me laisse tomber. Tout le monde s’est détourné de moi parce que je faisais mon travail sérieusement et efficacement. Je réponds à Bouvet : « Si c’est comme ça, je laisse tomber ». La rupture est consommée. Ironie de l’histoire, le président de la Fédération française de cyclisme, Olivier Dussaix, me décore des insignes du mérite cycliste le 30 décembre 1975 ! Mais dans mon esprit, le Tour de France et ses satellites, c’est fini. En tant que médecin des courses organisées par L’Équipe et Le Parisien, j’officie comme médecin de course une dernière fois sur Paris-Roubaix, la mythique classique du Nord, le 11 avril 1976. Avant de tirer définitivement ma révérence.
  • L’équipe Bic.  
  • A la fin de l’année 1974, le Baron Bic arrête son implication dans le cyclisme professionnel. Maurice de Muer trouve un point de chute chez Peugeot et Gerben Karstens chez Gitane-Campagnolo.
  • Piégé par son soigneur
  • Comme nous l’avons dit plus haut, Karstens avait déjà eu dans le passé maille à partir avec les tests d’urine. Cinq ans auparavant, après avoir remporté le Tour de Lombardie, une épreuve italienne de renom, il avait réussi, au moment du contrôle, à transvaser avec son système, dans le flacon officiel, les urines de … son soigneur. A son grand étonnement, il fut déclaré positif. Explication : l’épouse de son serviable compagnon avoua qu’il arrivait à son mari de prendre des produits dopants pour combattre la fatigue des heures de route qu’il accomplissait au volant de sa voiture. Pour la compétition incriminée, il était parti de Belgique, avait traversé de nuit, en voiture, tout le nord-est de la France, la Suisse et, bien sûr, n’avait pas failli à la tradition en « se chargeant » au maximum pour ne pas s’assoupir au volant.
  • L’invétéré tricheur avait été évidemment exclu de la première place.
  • TEXTE PUBLIE en juin 2012 aux éditions Hugo et Cie, figurant dans l’ouvrage “Tour de France : histoires extraordinaires des géants de la route”

1 Maurice de Muer est un ancien coureur professionnel de 1943 à 1951. Il a participé à trois Tours de France (1947, 1948, 1950). A son palmarès, on note une deuxième place à Paris-Nice 1946 et la même année une troisième place à Paris-Tours. Reconverti marchand de cycles dans le Nord, il va parallèlement exercer la fonction de directeur sportif de 1961 à 1982. Dans un ouvrage publié en 1981, nous avions comptabilisé pour la période de 1970 à 1978, vingt-quatre cas positifs concernant des coureurs de ses équipes. Rapporté aux soixante-six cas relevés pour l’ensemble du peloton cela donne 36 pour 100…

2 La Dépêche du Midi, 02 juillet 1974

3 Ibid

4 Ibid

5 La Dépêche du Midi, 03 juillet 1974

6 Le Jury International : André Chadelle (FRA), président, Juan Garayalde (ESP), Yves Le Gall (FRA) – 02 juillet 1974

7 L’Équipe, 02 juillet 1974

8 Ibid

9 France-Soir, 05 octobre 1974

10 Ibid

 

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