[publié le 3 janvier 2017]
C’est Michel Bréal, un linguiste français, qui proposa d’assortir les premiers Jeux olympiques modernes d’une course à pied de grand fond, appelée marathon, sur la distance du parcours effectué 2 386 ans plus tôt par le soldat de la bataille de Marathon, entre cette ville et Athènes afin d’annoncer à ses compatriotes la victoire des leurs face aux Perses.
Le linguiste français Michel Bréal (1832-1915), inventeur de la course du marathon
En mémoire de l’hémérodrome ‘’inconnu’’
12 septembre 490 avant Jésus-Christ, 40 kilomètres au nord-est d’Athènes.
Un soleil de plomb en fusion embrase le vaste cirque de Marathon. Quelques 20 000 envahisseurs perses, soldats de Darios 1er, alignés derrière leurs boucliers, attendent le signal de la charge. En face, sur l’autre versant, l’armée athénienne, forte seulement de 10 000 guerriers hoplites conduits par Miltiade, se déploie astucieusement en arc de cercle. Dans les deux camps, écrasés de chaleur et d’angoisse, l’attente est lourde, interminable.
Et soudain, déchirant le silence, une double clameur monte de la plaine. Les deux troupes, enfin libérées, telles deux vagues d’acier, déferlent l’une contre l’autre sur 2 000 mètres d’une course sauvage. Un choc effroyable d’acier et de chair. La horde perse, supérieure en nombre, enfonce vite les lignes grecques en leur centre, volontairement étiré au profit des ailes. Le fin stratège Miltiade les referme alors en tenailles sur son ennemi, pris au piège. La bataille, monstrueux et sanglant corps-à-corps, s’achève après plusieurs heures, par le massacre de plus de 6 000 perses contre moins de 200 grecs tués.
Acheminer rapidement à Athènes, la nouvelle du triomphe des Grecs sur les Perses, dans ce combat inégal, fut l’idée subite et généreuse d’un guerrier hoplite.
Dénommé Philippides par certains historiens, Pheidippidès (1) par d’autres, ou encore Euclès, par quelques hellénistes distingués, ce soldat de fait inconnu, enjambant les cadavres ennemis sur le sol fumant, s’élança en courant vers la capitale. Partant du village de Marathon, l’« hémérodrome » – nom des estafettes de l’époque – en armes, souillé de poussière et de sang, traversa toute la province de l’Attique par Vrana, escalada la colline d’Agios, culminant à 400 mètres, pour descendre enfin sur Athènes dont il apercevait au loin les faubourgs.
Alors que le ciel rougeoyait au soleil couchant, les athéniens prévenus par la rumeur, se massaient pour voir passer et applaudir le vaillant coursier. Haletant, titubant, les yeux hagards, seulement porté par l’enthousiasme et le désir d’annoncer le premier la grande nouvelle aux Anciens de la Cité, il arriva enfin pour s’effondrer devant les Sages réunis dans le Grand Temple :
« Nous les avons vaincus »
« Réjouissez-vous, nous les avons vaincus », murmura-t-il à leurs pieds, dans un souffle, avant d’expirer, le visage radieux. Le héros de Marathon entrait ainsi à jamais dans l’histoire de l’humanité. Pour que les légendes vivent, il faut sans cesse les réinventer. Alors même que la Grèce d’Hérodote disposait de ces valeureux « hémérodromes », athlètes quotidiennement entraîné, au gré de leurs missions, les Jeux antiques ne comportaient pas de course d’endurance. En effet, les épreuves sportives d’Olympie n’offraient aux compétiteurs qu’une course équivalente aux 5 000 mètres actuels. Curieuse ingratitude !
Coureurs passant dans les rues de Paris en 1885
C’est l’historien et linguiste français Michel Bréal et non Pierre de Coubertin, son ami, comme rapporté souvent par erreur, qui proposa d’assortir les premiers Jeux olympiques modernes d’une course à pied de grand fond, appelée marathon, sur la distance du parcours mythique. Il présenta son projet au 1er Congrès olympique qui eut lieu du 16 au 24 juin 1894, dans l’amphithéâtre de la Sorbonne. L’intention était louable : commémorer avec le marathon, à la fois la bataille historique et le sacrifice du soldat Euclès, tout en honorant ainsi la nation grecque.
Le Grand Départ : 10 avril 1896
Stade panathénaïque d’Athènes rénové pour les 1ers Jeux olympiques de l’ère moderne en 1896
Accepté par les congressistes, le souhait de Michel Bréal se concrétisa le 10 avril 1896, au cours des Jeux olympiques rénovés par le baron de Coubertin. À quatorze heures vingt cinq, le pistolet du starter lâchait les premiers marathoniens olympiques, à Marathonas, nom actuel de la ville. Sur la route et les traces mêmes de l’illustre ancêtre parti 2 386 ans avant eux. Le rêve de Michel Bréal devenait réalité. Il convient de préciser que les athlètes grecs n’étaient pas, jusqu’à cette course, bénis des Dieux, puisqu’ils n’avaient encore jamais gagné de médaille aux Jeux rénovés. Afin de mieux motiver à la victoire leurs coureurs, de riches commerçants promirent, en plus de la coupe en or offerte par Michel Bréal, des gratifications insolites au vainqueur du marathon. Par exemple, une tonne de chocolat ou ses vêtements et son coiffage gratuit à vie. Jusqu’au richissime Georgios Averoff qui promit, pour sa part, un million de drachmes…, avec la main de sa fille !
Parmi une majorité de participants grecs, deux étrangers ayant déjà fait leur preuve en course à pied se présentèrent sur la ligne de départ : l’Australien Edwin Flack, vainqueur du 800 mètres et du 1 500 mètres, et le Français Albin Lermusiaux, 3e du 1 500 m, qui mena la course pendant 30 kilomètres.
L’Australien Edwin ‘’Teddy’’ Flack (1873-1935) – abandonne au marathon et remporte le 1500 m et le 800 m
Le Français Albin Lermusiaux (1874-1940) – abandonne au 33e km du marathon et finit au 1500 m
Mieux que tous commentaires personnels, nous laissons la parole au baron de Coubertin : « 70 000 spectateurs assistaient au spectacle de l’arrivée du premier vainqueur du marathon, le berger grec Spiridon Louys qui s’était entraîné en jeûnant et en priant devant les icônes. Il atteignit la ligne d’arrivée sans trace de fatigue sous un tonnerre d’applaudissements qui saluaient à la fois le passé et le présent.
Le Grec Spiridon Louys (1873-1940) : 1er du marathon
Le prix de la victoire, une épouse !
Pour soustraire Spiridon à la foule en délire, après que la course fut finie, le prince royal et son frère prirent le berger dans leurs bras et le portèrent jusqu’aux degrés de marbre sur lesquels était assis le roi. La nation grecque était transportée au-delà de toute description par son premier héros athlétique. Spiridon Louys, âgé à l’époque de 24 ans, reçut la coupe en or présentée par Bréal ainsi que les autres prix et récompenses annoncées, mais il dut décliner la main de la fille d’Averoff… car il était déjà marié. Le temps de Louys était de 2 heures 58′ 50″ – un temps excellent si l’on considère l’état des routes à cette époque. Le deuxième était un compatriote de Louys, Haralambos Vasilakos (3 heures 6′ 33″) et le troisième, un Hongrois Gyula Keliner (3 heures 6′ 35″). Du 4e au 9e, tous étaient grecs. Partant, les Grecs avaient de bonnes raisons de se réjouir. »
Ainsi, le marathon devenait par le biais des Jeux olympiques rénovés de 1896, une épreuve populaire. Le 19 avril 1897, l’Amérique, déjà, esquissait sa notoriété avec le premier marathon de Boston qui se perpétue, avec succès, encore aujourd’hui. Depuis, les plus grandes manifestations sportives mondiales ont inscrit le marathon à leur programme, qu’il s’agisse du Championnat d’Europe d’athlétisme, des Jeux asiatiques, panaméricains ou du Commonwealth.
(1) Si l’on en croit Hérodote, le chroniqueur de Marathon, Pheidippides a bien existé. Ce dernier, hémérodrome du général Miltiade (ainsi nommait-on les bipèdes utilisés comme “moyen de communication” aussi bien dans les états-cités qu’à l’armée) était un coureur de talent ayant couvert environ 440 km en quatre jours sur un terrain très difficile, pour obtenir des renforts de Sparte après le débarquement des Perses, puis pour rejoindre Marathon. Compte tenu des efforts accomplis, il est vraisemblable que ce n’est pas le même homme qui, peu de temps après, est reparti en courant annoncer aux Athéniens la victoire sur les Perses.
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