Lutte antidopage olympique : le zéro pointé des statistiques

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« Il y a trois sortes de mensonges : les mensonges,

les sacrés mensonges et les statistiques. »

Mark Twain (USA) (1835-1910), journaliste, romancier

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La tricherie semble bel et bien admise comme une pratique normale par les autorités régissant l’olympisme. Les multiples possibilités de se doper sans se faire prendre aboutissent à un effet pervers : la crédibilisation des dopés.

Depuis longtemps – mis à part le Comité international olympique (CIO), l’Agence mondiale antidopage (AMA), les Fédérations internationales (UCI, FIFA, IAAF, ITF) – tout le monde sait que la négativité des contrôles antidopage pour clamer que l’on ne se dope pas, est un argument non recevable. Ce qui, bien sûr, est intolérable pour ceux qui jouent le jeu. On arrive ainsi au paradoxe aberrant que les athlètes spécialistes de la dope, demandent hypocritement toujours plus de contrôles sachant très bien que les risques encourus sont faibles, voire nuls pour les pros des manipulations biologiques. A chaque olympiade depuis 1968, date des premiers Jeux contrôlés, les résultats des tests antidopage sont très rassurants puisque les laboratoires « haute performance » du CIO, ne détectent que quelques cas.

Moins de 4 pour mille

Sur les 38 816 tests effectués depuis les JO d’hiver de Grenoble, seuls 150 se sont avérés positifs, soit 0,39 pour cent ! Autrement dit, moins de 4 pour mille (voir tableau détaillé des contrôles aux Jeux olympiques). Est-ce à dire que la lutte antidopage est efficace ou au contraire que les fraudeurs savent parfaitement contourner l’obstacle sans se faire prendre ?Les sportifs, dans leur majorité, sont pour les contrôles à condition d’être certains que ceux qui se dopent soient pris et sanctionnés à coup sûr. Howard Payne, sommité en haltérophilie de l’Université britannique de Birmingham, affirme à ce sujet : « La presque totalité des athlètes auxquels j’ai parlé accueillerait avec joie les examens antidoping, s’ils étaient certains qu’aucun médicament n’y échapperait. ». Malheureusement, cette certitude réclamée par les sportifs et les entraîneurs n’est toujours pas envisageable dans un avenir rapproché. Nous allons le démontrer en analysant tous les points faibles de la lutte antidopage qui expliquent clairement : « que courent toujours les hormonés, les anabolisés, les cortisonés, les transfusés, les drogués, la plupart du temps sous couvert des fédérations ».

Que les imprudents et les mal conseillés

Cet avis péremptoire prononcé un an avant les Jeux de Séoul, et toujours d’actualité, s’est vu d’ailleurs confirmé par un pionnier de la lutte antidopage olympique Sir Arthur Gold, le Président de la British Olympic Association : « Tant que le dépistage sera ce qu’il est, nous n’attraperons que les imprudents et les mal conseillés. » Durant de nombreuses années, maints produits dopants ont été consommés en toute impunité. C’est le cas entre autres des stéroïdes anabolisants, utilisés par les sportifs depuis 1954 et interdits en 1974 par le Comité International Olympique (CIO), des bêta-bloquants, employés depuis 1978 (au moins) et interdits en novembre 1985, ou de la célèbre caféine, utilisée depuis un siècle comme stimulant tous azimuts et interdite seulement en 1983 par le CIO puis autorisée à nouveau en 2004 pour ne pas désobliger Coca-Cola, l’un des sponsors principaux des valeurs olympiques.Mais de nombreux dopants, notamment plusieurs hormones naturelles, en raison de l’absence de méthode analytique validée par la communauté scientifique ou de seuil irréfutable de positivité, ne sont toujours pas recherchés lors des contrôles antidopage. Ainsi, en est-il de l’hormone de croissance (hGH) qui, tout à la fois, stimule la croissance individuelle des fibres musculaires et leur nombre (l’hGH n’était pas recherchée à Londres en 2012 ni à Sotchi en 2014), de l’hormone corticotrophine (ACTH ou Synacthène®) utilisée pour accroître la synthèse de cortisone, de la gonadoréline (hormone sécrétée par l’hypothalamus) qui déclenche la sécrétion d’hormone mâle par le testicule et de la somatostatine qui bloque la sécrétion de l’hGH et « permet » d’orienter la croissance des gymnastes. Mais aussi de la transfusion sanguine autologue (avec son propre sang prélevé, stocké et réinjecté en fonction des compétitions) qui augmente le nombre de globules rouges en facilitant l’oxygénation musculaire

Stanozolol, 25 ans après

 Par ailleurs, des substances cataloguées détectables ne l’étaient pas à coup sûr. Ainsi en novembre dernier, Hans Geyer, l’un des responsables scientifiques du laboratoire antidopage de Cologne (Allemagne), lors d’une conférence, a révélé que grâce à une nouvelle méthode de détection des stéroïdes anabolisants exogènes, 260 cas qui jusqu’alors seraient passés inaperçus, ont été testés positifs : « Maintenant nous avons une méthode plus sensible et depuis que nous l’avons lancée en novembre l’an dernier, nous avons trouvé environ 180 cas positifs au stanozolol et 80 cas positifs à l’Oral-Turinabol®, que nous n’aurions jamais détectés avant » a expliqué le scientifique.

Oral-Turinabol Oral-Turinabol : la pilule miracle des Allemands de l’Est, indécelable de 1974 à 2013

Cette méthode, qui se base sur la recherche d’un métabolite de longue durée dans l’urine, a été mise au point par le laboratoire antidopage allemand pour le volet concernant le stanozolol, le stéroïde trouvé dans les urines de Ben Johnson au terme de la finale du 100 mètres des Jeux olympiques de Séoul en 1988, et par le laboratoire de Moscou pour l’Oral-Turinabol® (dérivé de la testostérone, l’hormone mâle) le produit dopant de l’ancienne Allemagne de l’Est mis sur le marché local en 1965.

bjohnson2804_468x552        Ben Johnson dominant la finale olympique de Séoul en 1988           imagesXU7FAR45

                      Le stéroïde anabolisant qui a fait tomber  Ben Johnson aux JO 1988

Mais l’information majeure de cette avancée analytique c’est que pendant 25 ans, depuis l’affaire Ben Johnson, des centaines de sportifs plus malins que le Canadien sont passés à travers les radars de la lutte antidopage car ils savaient quand il fallait stopper la prise du fameux stéroïde anabolisant ! De même, la RDA entre 1968 et 1988 a glané 519 médailles olympiques en subissant plusieurs centaines de contrôles – tous négatifs – alors que l’ensemble des sélectionnés est-allemands absorbaient de l’Oral-Turinabol®. Tout ce petit monde peut adresser un grand merci au CIO.

Siphonner la vessie

 Nul n’a besoin d’être un grand devin pour imaginer que les sportifs olympiques puisent abondamment dans ces nombreuses substances hormonales indétectables. En outre, les moyens de tricher au contrôle ne manquent pas. Le remplacement des urines contenant le produit illicite par celles d’un tiers n’est pas aussi rare qu’on pourrait le penser. Une poire en caoutchouc ou un sachet d’urine dissimulés sous l’aisselle, dans le vagin ou le rectum sont des techniques courantes, de même que le siphonage de la vessie. Celui-ci, un peu plus sophistiqué, consiste à faire injecter de l’urine « pure » dans la vessie à travers l’abdomen ou à l’aide d’une sonde souple par voie urétrale, après avoir uriné dans un coin discret.

sans-titre (4) David Howman, directeur de l’AMA

 Le contrôle négatif n’est pas une preuve de non dopage

Dans la réalité, les faits sont souvent têtus et plusieurs exemples sont là pour démontrer sans ambages que de faire référence à la négativité des contrôles antidopage pour clamer que l’on ne se dope pas ou que tel ou tel sport est propre, n’est certainement pas un argument massue. Par exemple, de 1986 aux Jeux olympiques de Séoul (1988), soit pendant deux ans, Ben Johnson, le vainqueur du 100 mètres, contrôlé positif au stanozolol (un stéroïde anabolisant) avait subi dix-neuf tests, tous négatifs, alors qu’il suivait de fréquentes cures hormonales pendant cette même période. De même, pendant une vingtaine d’années, jusqu’à la réunification des deux Allemagne en 1990 et l’affaire du trio des Wundermädchen Krabbe-Breuer-Derr, deux athlètes d’Allemagne de l’Est – la lanceuse de poids Ilona Slupianek en 1977 lors de la coupe d’Europe et le cycliste Norbert Dürpisch à l’occasion des championnats du monde 1978 – se font prendre dans les filets du contrôle antidopage alors que « 200% » des athlètes de RDA étaient survoltés artificiellement. Le 26 août 1993, les autorités allemandes ont révélé des documents autant secrets qu’irréfutables, établissant que la police secrète d’Allemagne de l’Est, la Stasi, dirigeait et contrôlait tout le processus de la « dope » systématique commencé en 1971.

De plus, on n’effectue la plupart du temps, que des contrôles a posteriori, c’est-à-dire après l’épreuve qui, comme le soulignait Alexandre de Mérode, président de la Commission médicale du CIO de 1967 à 2002, « n’atteignent que les plus stupides et les plus imprudents. »

FLORENCE 1                          FLORENCE 2

Le recours aux produits qui « effacent » les traces de dopants en les diluant est également un moyen de tricher. Les diurétiques, qui accélèrent l’élimination du dopant, de même que le probénécide qui ralentit l’élimination de stéroïdes anabolisants étaient utilisés, depuis le milieu des années 1970, et n’ont été interdits par le CIO qu’à partir de 1987 et 1988. Mais d’autres substances ou systèmes « effaçants » plus ou moins efficaces restent disponibles. Des doses infimes de plusieurs anabolisants différents auraient un effet global sur le muscle identique à un seul dopant pris à dose plus élevée, tout en permettant l’élimination rapide de chacun des produits et leur non-détection. Le couplage d’un anabolisant avec un stimulant cardiaque, l’heptaminol, donne une grosse molécule qui filtre difficilement à travers les reins et est donc indétectable.

Des contrôles préventifs pour se jouer des tests officiels

 L’une des causes essentielles de l’inefficacité des contrôles antidopage est l’absence d’une réelle lutte internationale. En effet, de nombreux pays, pour éviter d’envoyer aux Jeux olympiques des sportifs dopés, font des contrôles préventifs avant le départ. Les différents témoignages provenant d’athlètes soviétiques et des dossiers de la Stasi (ex-police secrète de RDA) confirment que cette pratique était généralisée dans le bloc de l’Est et qu’elle a débuté vraisemblablement dès 1972, aux JO de Munich. Ce n’est qu’à partir des JO de Montréal en 1976 que ces contrôles officieux à visée prophylactique étaient principalement effectués afin de vérifier que l’arrêt de la cure d’anabolisants (prohibés en 1974) avait bien été stoppé à temps. Si l’interruption était trop tardive et qu’il persistait des résidus d’hormones exogènes, les athlètes restaient à la maison et le motif de leur forfait était au choix : une blessure, une maladie, un mariage, une grossesse etc. Anthony Daly, directeur des services médicaux des JO de Los Angeles, a confirmé dans une interview parue dans un quotidien sportif, cette pratique des contrôles officieux destinés à planifier l’utilisation des dopants de l’entraînement : « Certains pays sont équipés d’un matériel sophistiqué qui leur permet de procéder à des contrôles de leurs sélectionnés avant les compétitions officielles. Les « positifs » seront écartés systématiquement et la sélection présente aux JO échappera à toute punition. Il aura suffi d’établir un calendrier de l’utilisation de certaines drogues et d’en arrêter l’absorption suffisamment à l’avance. Pour les pays « pauvres », qui n’ont pas d’équipement antidopage, ces contrôles sont impossibles et leurs représentants risquent d’être pris en flagrant délit alors qu’ils ne seraient pas plus coupables que ceux qui auraient été au préalable soumis à un précontrôle. »

Le seul moyen de prévenir cette escalade serait d’étendre les contrôles antidopage aux entraînements. Pour Anthony Daly, la solution n’est pas simple : « Pour mettre sur pied un programme mondial de contrôle, nous nous heurtons avant tout à des problèmes politiques. C’est aussi difficile que d’obtenir des pays du monde qu’ils réduisent leur armement. »

Hors compétition, la Norvège innove

 En 1977, la Norvège a été la première nation à instaurer de façon systématique des contrôles hors compétition. En 1988, onze ans plus tard, 75% de l’ensemble des tests effectués dans ce pays scandinave l’étaient à l’improviste. Or, les contrôles vraiment inopinés donnent sur les seules substances détectables, environ 10 à 30 % de cas positifs. Les tests de dépistage effectués a posteriori à la suite des épreuves olympiques sont, eux, loin de ces résultats. Ainsi, les treize Jeux olympiques d’hiver ayant eu lieu entre 1968 (Grenoble) et 2014 (Sotchi) n’ont eu officiellement que 0,27 % de cas positifs (28 cas sur 10 217 analyses) et les douze Jeux d’été, de Mexico à Londres, que 0,43 % (122 positifs sur 28 599 analyses).

De surcroît, si l’on considère le coût faramineux – 27 millions d’euros – des installations antidopage de Sotchi (construction du laboratoire et équipement analytique), on ne peut que constater que c’est beaucoup d’argent pour des résultats somme toute très modestes.  Les patrons d’une entreprise qui auraient un tel bilan seraient rapidement priés d’aller exercer leurs « talents » ailleurs. En effet, ils sont soient incompétents ou n’ont pas les coudées franches pour aboutir. Dans les deux cas, ils doivent passer le témoin. Lorsqu’on sait comment fonctionnent les élections au sein de l’olympisme, il est douteux que les choses changent rapidement.

Et au lieu de la devise olympique : « Plus vite, plus haut, plus fort » (Citius, Altius, Fortius) du Père Didon, il faut dorénavant proclamer « Toujours plus de triche, plus de dopage, plus d’argent ».

Un grand merci au CIO pour la promotion de ces belles valeurs !

 (*) en 2013, le budget de l’AMA était de 19 millions d’euros et celui de l’AFLD de 7 millions

 Article écrit le 17 mars 2014 après les Jeux olympiques de Sotchi.

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