Forçats de la route, Juges de Paix, Homme au marteau : des expressions nées sur la route du Tour

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Le Tour de France (comme le vélo) a forgé sa légende grâce à ses routes très escarpées, ses cols mythiques, ses champions hors normes aux noms évoquant les pionniers de la conquête hexagonale à vélo : Octave Lapize – dit Le Frisé -, Gustave Garrigou – dit L’Elégant -, François Faber – dit le Géant de Colombes – Eugène Christophe – dit le Vieux Gaulois -, mais aussi en raison des célèbres métaphores nées dans la roue des Vagabonds de la chaussée : Forçats de la route, Juges de paix, l’Homme au marteau…

Forçats de la route – Dès 1906 la métaphore est déjà associée aux cyclistes du Tour

 A propos du spectaculaire et médiatique abandon des frères Pélissier lors du Tour de France 1924, Albert Londres, le célèbre journaliste présent sur cette édition pour le compte du Petit Parisien, n’a jamais écrit dans aucun de ses textes, l’expression « les forçats de la route ». En fait, l’inventeur de la célèbre métaphore est un journaliste, Maurice Genin, collaborateur de la Revue de l’Automobile Club du Rhône, qui l’avait utilisée en 1906, soit… dix-huit auparavant. Ce dernier, afin d’illustrer le labeur inhumain accompli par les semeurs d’énergie avait titré son article « les forçats de la route ».

Trois ans avant le reportage d’Albert Londres interviewant les Pélissier  sur leurs rudes conditions  d’As de la route, Roule-Lacaisse, reporteur du Miroir des Sports, caché derrière un pseudonyme, dans son commentaire de la troisième étape Cherbourg-Brest utilise la métaphore de forçats : « Nous passons dans un petit village de Bretagne. Toute la population est là égrenée en chapelet dans la Grande-Rue. Nos coureurs passent à 34 kilomètres à l’heure et Bretons et Bretonnes les regardent avec la stupeur mêlée de je ne sais quel respect effrayé de gens qui semblent regarder des forçats.

 LE PETIT PARISIEN

 Texte d’Albert Londres du 27 juin 1924 dans Le Petite Parisien : ni dans le titre ni dans l’article ne figure l’expression ‘’les Forçats de la route’’

 

Géants de la route – En 1908 dans l’Auto

 C’est Charles Ravaud, journaliste sportif et collaborateur à la rubrique cycliste de L’Auto, surnommé le Beau-Joli, qui, le premier, le 13 juillet 1908 dans ce quotidien et afin de magnifier les exploits des participants à la Randonnée de Juillet, les surnomme les géants de la route.

Juges de paix – Expression inventée par Henri Desgrange (HD). Il désigne ainsi la haute montagne et ses passages hauts perchés

Dans son ouvrage « La Vie sportive » publié en 1913 mais commentant la Grande Boucle 1912, HD en voyant, lors de la cinquième étape Chamonix-Grenoble, les ténors de la route grimper les trente-trois kilomètres de sentes impossibles du Galibier, compare le géant des Alpes à un juge de paix. : « En voyant tous ces coureurs aborder le Galibier géant, je n’ai pu m’empêcher de les comparer à une théorie de plaideurs comparaissant volontairement devant un  juge de paix irrécusable, chargé de déterminer infailliblement leur valeur respective. C’est Eugène Christophe qui a gagné ce procès sportif. Mais il me faudrait citer l’ensemble des plaideurs si je voulais rendre justice à tous et si les minutes et la place ne m’étaient pas mesurées aujourd’hui. »

LE GALIBIER

Un Juge de paix sous les traits bourrus d’Henri Desgrange

JUGES DE PAIX

Les Juges de paix caricaturés par Pellos

                                         

L’Homme au marteau sévit à partir de 1923

Outil de fer, à manche de bois, propre à cogner. Est employé en ce sens dans l’expression l’Homme au marteau. Ce dernier est un mauvais génie invisible qui assène sur le crâne du coureur cycliste un coup d’assommoir moral. Il symbolise la défaillance soudaine et irrémédiable. Cette expression est surtout utilisée dans les défaillances en montagne.

Pour Maurice Pefferkorn,l’auteur de Géants et sédentaires[1], l’expression doit être attribuée à Maurice Ville qui, en 1924, à Deauville lors de la première étape Paris-Le Havre, en proie à une défaillance carabinée, aurait déclaré à un suiveur : « C’est l’homme au marteau qui m’a cueilli »

En revanche, le ‘’Speaker’’ du Miroir des Sports croit mordicus que l’expression est de Jean Alavoine, lequel disait en 1923 d’un concurrent en difficulté : « L’homme au marteau lui en a refilé un coup derrière la nuque ». [2]

[1] Paris, éd. Brelaz, 1925

[2]Le Miroir des Sports, 1926, n° 321, 30 juin, p 431

TDF – Des histoires ”bidon” romancées par des journalistes de pacotille

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A l’approche du Tour, les éditions font feu de tout bois pour sortir des ouvrages sur le cyclisme mais plus précisément sur la Grande Boucle espérant attirer par des souvenirs d’enfance le lecteur potentiel qui a forcément croisé pendant cette première période d’insouciance la caravane des géants de la route.

En ce qui me concerne, ma légitimité s’appuie sur une bibliothèque cycliste de 1 800 ouvrages lus de A à Z pour la plupart, des milliers de périodiques mais aussi sur quatre décennies de collaboration à des revues cyclistes.

Devant la constance des erreurs colportées par des journalistes peu sérieux, j’ai publié différents ouvrages sur les fausses histoires du Tour : 36 Histoires du Tour de France ; Les histoires extraordinaires des géants de la route ; Les grandes premières du Tour de France.

Tout récemment, on m’a offert un livre sur la plus grande course du monde : « En boucle. Un autre regard sur le Tour ». Malheureusement, il y figure un paquet d’erreurs qui montre le manque de connaissances des signataires sur le sujet.

EN BOUCLE

La plus grande mascarade concerne le texte consacré au Roi René : « On a retrouvé l’orteil de Vietto » 

Pour vous faire une idée, je vous donne la version de Vietto lui-même, parue en 1954 dans Miroir-Sprint, puis, ensuite, le texte des éditions Tana sorti en 2016.

VIETTO A VELO

                René Vietto sur le Tour 1939

Tour de France 1947 (10e étape : Digne-Nice) : « Coupez-moi le doigt de pied ! »

« Quelque chose encore allait m’empêcher d’être heureux : j’ai toujours eu un orteil chevauchant, au pied gauche (du même côté que mon mauvais genou) ; sous l’effet de la chaleur, cet orteil, sur lequel frottait la chaussure et le cale-pied, s’était enflammé. Le soir, j’avais une plaie qui s’infectait.

À Nice, Fermo Camellini gagne et j’ai bien du mal à garder mon maillot. Mon pied me fait de plus en plus souffrir. Pour la journée de repos, j’ai un projet. Je fais venir un toubib et lui dis : « Faites-moi sauter ce doigt de pied. C’est une pourriture qui me gêne. 

VIETTO CHAUSSURE

Tour de France –      Sprint, 10.07.1947

Cette fois c’était moi qui exigeais qu’on m’ampute et le médecin qui refusait. Il me bourra de pénicilline jusqu’au départ. Je dois reconnaître que c’est lui qui avait raison. Handicapé pour le reste du Tour avec ma pénicilline, je ne serais même pas reparti l’orteil amputé. J’en fis l’expérience lorsque, le Tour fini, je pus enfin « faire sauter ça ». Pendant vingt et un jours je dus garder la jambe en l’air, souffris énormément et mis des mois avant de retrouver l’équilibre nécessaire à la marche. On ne croirait pas comme un simple doigt de pied peut vous manquer dès qu’il est enlevé ! »  [Vietto R. .- Ma vie : un handicap sur 8 Tours (propos recueillis par Roger Frankeur) .- Miroir-Sprint, 1954, n° 405, 15 mars, pp 16-17  et n° 406, 22 mars, pp 14-15 (p 14)]

VIETTO     VIETTO 2

François Thomazeau – En Boucle. Un autre regard sur le Tour. – Paris, éd. Tana, 2016. – 159 p (pp 68-69)

Autres bidonnages (en rouge le vrai) –

  • VO2 max est du genre masculin et non féminin (p 13)
  • Jacques Chirac est maire de Paris de 1977 à 1995. Donc, en 1974, au moment de la discussion pour faire arriver les géants de la route sur les Champs Elysées, ce n’est pas lui qui donne son accord à Yves Mourousi mais Valery Giscard d’Estaing, alors président de la République (p 20)
  • Le nom de la première lanterne rouge en 1903 Arsène Millochau ne prend pas de e après le h (p 33)
  • Henri Pélissier est décédé en 1935 et non en 1931 (p 79)
  • Pedro Delgado, lauréat du Tour 1988, est contrôlé positif au probénécide qui est du genre masculin, et non à la probénécide (p 86)
  • Associer le passeport biologique (2008) au contrôle positif au clenbutérol de Contador en 2010 montre l’étendue de l’ignorance du journaliste sur les questions de dopage. Le clenbutérol n’est as une hormone mais un bêta-stimulant. A ce titre, il n’est pas identifié par le passeport mais par un test urinaire (p 87)
  • Ottavio Bottecchia et non Ottavo (p 71)

Si j’avais le temps, je pourrais lister encore un paquet de vannes….

Au crédit de l’ouvrage, la publication de la photo du panneau de contrôle antidopage sans trait d’union (p 87) que l’on doit à mon intervention auprès de l’organisateur pour supprimer le fameux trait d’union intempestif d’antidopage. Par ailleurs, là aussi grâce à mes recherches publiées dans « 36 histoires du Tour de France » l’expression Les Forçats de la route est signalée indûment attribuée à Albert Londres, ‘’le Prince des journalistes’’ d’enquête des années 1920-1930.

Je sais cependant qu’en en parlant, je fais de la publicité à cet ouvrage médiocre mais je crois fondamentalement à la perspicacité des lecteurs du blog.