Idée reçue : la longévité d’une carrière implique l’absence de dopage…

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L’Italien Davide Rebellin, trois fois lauréat de la Flèche Wallonne en 2004, 2007, 2008 mais surtout auteur d’un triplé historique aux ardennaises en 2004 (Amstel Gold Race, Flèche Wallonne, Liège-Bastogne-Liège), âgé aujourd’hui de 44 ans mais toujours en activité – alors qu’il a été pris par la patrouille antidopage aux Jeux de Pékin où il avait obtenu la 2e place et qu’il traîne ce boulet depuis – prend pour preuve absolue sa longévité pour nous faire gober qu’il n’a pas abusé du fruit défendu : « Le dopage détruit les organismes alors si je suis encore là, après vingt-quatre ans de carrière professionnelle, c’est bien parce que j’ai mené une vie régulière ».

DAVIDE REBELLIN  Davide Rebellin

 Le texte ci-dessous, écrit en 2000, doit permettre à vous, lecteurs, d’enrichir votre sens critique.

De la même manière que certains contempteurs de la lutte antidopage critiquent à la fois l’inefficacité des contrôles et les utilisent comme argument pour défendre de la suspicion de dopage tel ou tel sportif ayant subi de multiples tests négatifs, d’autres font de la longévité d’une carrière athlétique un critère de non-dopage tout en ajoutant, pour asseoir leur démonstration : « s’ils se dopent depuis longtemps, c’est que les substances prohibées ne sont pas dangereuses. »

L’important c’est la dose

Le physiologiste français Claude Bernard indiquait dans l’introduction à ses leçons sur les substances médicamenteuses et toxiques : « qu’il n’y a pas de différence essentielle entre un médicament et un poison : tout se résume à une question de dose. Un même produit agit comme médicament ou comme poison selon la quantité plus ou moins considérable introduite dans l’organisme et selon les résultats obtenus. » Donc, médicament d’une affection déterminée à faible dose, une substance pharmacodynamiquement active pourra devenir un dopant à forte dose, d’autant plus que d’autres effets inapparents avec des quantités d’ordre thérapeutique pourront se révéler et même être recherchés lors d’administrations exagérées. Il faut du temps aux substances chimiques pour détruire en profondeur les organismes, surtout les plus sains. Christian Bachmann et Anne Coppel, deux experts de l’histoire de la drogue, rappellent « qu’il aura fallu au total plus de cent ans de pratique pour que l’Occident découvre l’existence de la dépendance des individus à l’égard de la drogue. Cinquante ans se sont passés avant que l’on s’aperçoive des effets négatifs de la morphine. Le cycle est de quinze ans pour la cocaïne, il se raccourcit encore pour l’héroïne : cinq ans séparent les débuts de son utilisation thérapeutique et la découverte de son caractère nocif. » [1]

La longévité du Cannibale, un plaidoyer pour la dope…

 En plus des risques pour la santé que pose individuellement chacune des substances dopantes, la combinaison de plusieurs, notamment pour tenter de bloquer certains effets indésirables, expose à une potentialisation des dangers. Robert Ichah, dans son livre sur le Tour de France écrit en collaboration avec Jean Boully, adopte cette analyse: « A propos du « Cannibale » (Eddy Merckx), la seule certitude c’est que, s’il s’est dopé, sa longévité, ses résultats et sa régularité constitueraient un plaidoyer en faveur du dopage aux effets apparemment plus positifs que négatifs ! » [2]

EDDY MERCKX  Eddy Merckx

Lorsqu’on cite en exemple la longévité exceptionnelle d’un cycliste, ou plus généralement d’un sportif de haut niveau, il n’est pas sain de vanter les « effets positifs » du dopage. Que ce soit pour le tabac, l’alcool et, bien sûr, le dopage et la drogue, les effets délétères se manifestent au bout d’un délai  plus ou moins long suivant les doses, le début de la consommation et surtout la résistance constitutionnelle de chacun. La commission d’enquête canadienne sur le dopage, dirigée par Charles Dubin, et mise en place par le gouvernement après le contrôle positif de Ben Johnson aux JO de Séoul en 1988, a bien montré l’engrenage de la polyintoxication : « L’usage combiné de l’hormone de croissance et de la gonadotrophine chorionique est un bon exemple d’un autre grand problème relié à l’usage abusif de certaines substances. Le recours à diverses substances par les athlètes entraîne des effets indésirables qui poussent ces derniers à consommer d’autres médicaments pour lutter contre ces effets secondaires. Les athlètes consomment des stéroïdes pour améliorer leur performance, des diurétiques pour lutter contre la rétention de liquide causée par les stéroïdes, des électrolytes pour contrer les effets des diurétiques, des antiestrogènes pour combattre la gynécomastie, de la gonadotrophine chorionique pour augmenter la production naturelle de stéroïdes… et la liste s’allonge tant  que l’athlète ne renonce pas à consommer la substance qui enclenche tout le processus. » [3]

Des santés faussement insolentes

 Au total, vanter la « santé insolente » de Jacques Anquetil ou de Louison Bobet (voir encadré : en bonne forme apparente)… qui, en fait, sont morts jeunes (53 et 58 ans) n’est pas la meilleure démonstration pour affirmer de façon péremptoire que la longévité d’une carrière sportive va  de paire avec une tempérance vis-à-vis des pilules de la  performance.

Santé  : en bonne forme apparente

1966 – Jacques Anquetil (FRA) : une santé insolente

« Reste que la médecine sportive, quels que soient la valeur et le mérite de ses membres, ne peut qu’être embarrassée devant certains cas : celui de Jacques Anquetil, notamment qui, au sommet de la hiérarchie depuis 13 ans, roi des plus dures spécialités (contre la montre et par étape) affiche, à 32 ans une santé insolente et semble s’améliorer au fil des ans. Bien d’autres champions cyclistes ayant prouvé une longévité sportive enviable, il semblerait donc que ce sport, dont la pratique provoque une élimination organique exceptionnelle, ne soit pas celui où la stimulation musculaire ou cardiaque soit la plus dangereuse. » [Maurice Vidal, Miroir du Cyclisme, 1966, n° 78, octobre, p 3]

Jacques Anquetil Jacques Anquetil

1966 – Robert Chapatte (FRA) : « L’accent sur la longévité de certains champions »

           « On a souvent mis l’accent sur la longévité de certains champions, Bobet, Bartali, Van Steenbergen, Schulte, Robic et plus près de nous Jacques Anquetil. Ce dernier réalise des exploits depuis l’âge de dix-huit ans. Il fêtera bientôt ses trente-trois ans : croyez-vous qu’un coureur qui userait de stupéfiants, d’amphétamines ou de strychnine à longueur de semaines, ou de Tours de France,  résisterait aussi longtemps ? » [Chapatte R. .- Le cyclisme, la télé et moi. – Paris, éd. Solar, 1966. – 316 p (p 142)]

1967 – Louison Bobet (FRA) : un modèle de santé physique

           « Nous avons interviewé Louison Bobet à son centre de thalassothérapie de Quiberon. A quarante-deux ans, l’ancien champion du monde, vainqueur de trois Tours de France, est un modèle de santé physique et intellectuelle.

– Croyez-vous que le doping améliore la performance ?

– J’ai roulé à 42, 43 km à l’heure et je n’ai jamais pris que du vin sucré et de la quintonine. » [Olivier Merlin – Paris-Match, 29.07.1967]

BOBET  Louison Bobet

1977 – Marc Jeuniau (BEL) (journaliste) : « A près de quarante-cinq ans, Anquetil connaît une forme physique impeccable »

                « … Si Anquetil s’est dopé, il faut effectivement louer le doping. A près de quarante-cinq ans, le Normand connaît une forme physique impeccable et il paraît bien plus jeune que son âge. Nous pourrions ainsi citer mille exemples de champions suspects à l’époque de leur carrière… » [Jeuniau M. .- Doping : que veut-on prouver . .- Le Peuple, 11.05.1977]

 1978 – Jean Leulliot (FRA) : « Des anciens si alertes »

           « Nous avons eu le privilège d’assister, samedi soir, au dîner des anciens vainqueurs du Tour de France, organisé par MM. Goddet et Lévitan. Il y avait là, accompagnés de leurs épouses et de leurs enfants, Nicolas Frantz (1927, 1928), André Leducq (1930, 1932), Antonin Magne (1934), Romain Maès (1935), Roger Lapébie (1937), Jean Robic (1947), Ferdi Kubler (1950), Louison Bobet (1953, 1954, 1955), Gastone Nencini (1960), Jacques Anquetil -1957, 1961, 1962, 1963, 1964), Federico Bahamontes ( 1959), Lucien Aimar (1966), Roger Pingeon (1967), Jan Janssen (1968), Eddy Merckx (1969, 1970, 1971, 1972, 1974). Dîner émouvant qui se déroulait au milieu d’un véritable musée du cycle et au cours duquel tous les champions allaient des uns aux autres, comme de gamins pour se faire signer leurs menus. Une table retenait  particulièrement l’attention : c’était celle qui groupait Anquetil, Merckx et Bobet, treize victoires dans le Tour à eux trois. La discussion à cette table fut particulièrement animée et Louison Bobet fut mis sur la sellette pour avoir osé dire qu’il n’avait jamais pris le moindre stupéfiant ou remontant. Il fut obligé d’avouer « qu’il avait absorbé les petits bidons préparés par son soigneur de l’époque sans savoir exactement ce qu’ils contenaient. » Ce qui fit bien rire Jacques Anquetil et Eddy Merckx. D’ailleurs, le dopage faisait l’objet de toutes les conversations. Et, à voir ces anciens, si alertes, on pouvait penser qu’aucun d’eux, si jamais ils s’étaient dopés, n’en ressentait les effets. » [Sud-Ouest 24.07.1978]

1982 – Jacques Anquetil (FRA) : « 17 ans de carrière cela démontre qu’il a su en user avec discernement »

            « En fait, Anquetil souffrit bel et bien avec le braquet effarant qu’il s’était imposé. Courbé sur sa bicyclette, l’œil fixe, les traits tirés, il fonça vers l’exploit, à grands coups de pédales. C’était le plus poignant des morceaux de bravoure de Jacques. Il se battait comme s’il avait eu à défendre sa vie. Tout son orgueil de champion supérieur se trouvait engagé, et, au coup de pistolet final qui le libérait, il avait couvert 47,493 km, soit 146 mètres de plus que Roger Rivière. Les fanatiques de l’exploit qui venaient d’assister à sa tentative victorieuse se précipitèrent alors vers Anquetil pour le toucher, le porter en triomphe, dans une véritable frénésie, une ruée sauvage… Jacques souriait en s’épongeant :

– Faire une chose comme ça, c’est terrible. Surtout en fin de carrière ! Je suis finalement récompensé, puisque je bats le record de Roger, sur la même piste et dans les mêmes conditions de préparation que lui-même, il y a neuf ans.

Hélas, ces conditions de préparation n’étaient pas admises par l’UCI. C’est ainsi que Jacques fut prié de satisfaire aux nécessités du contrôle « antidoping ». Furieux, Raphaël Géminiani lui évita de satisfaire à ce contrôle car il avait enregistré la promesse que nulle tracasserie ne serait faite à Jacques, sur ce point !

Nous avons été trahis ! s’écria-t-il. Mon coureur s’est battu pour la gloire, car son record ne sera pas homologué…

Il ne le fut pas, en effet. Et le rappel de cette très grande heure du cyclisme nous amène à regretter que les modalités, dans l’application des contrôles, ont été différentes, selon les fédérations. Les précédents recordmen n’avaient pas eu à se soucier de tels examens et si Jacques Anquetil a eu, en  certaines circonstances, nécessairement recours à des stimulants, les dix-sept années de sa magnifique carrière sont là pour démontrer qu’il a su en user avec discernement, sous contrôle médical. Ce qui ne fut pas le cas pour de nombreux jeunes, et c’est pourquoi  les contrôles antidoping sont, pour eux, indispensables. » [Terbeen F. .- Les grandes heures du cyclisme. – Paris, éd. PAC, 1982. – 177 p (p 119)]

1987 – Bobet- Gem  (FRA) : « On est pas mal pour des vieux »

          « Louison Bobet a fêté son jubilé, lundi soir, à l’occasion du cinquantenaire des fêtes de Bayonne, où l’homme prospère qu’est devenu le populaire champion d’il y a 25 ans, est maintenant installé. Le Breton, toujours mince et affable, a retrouvé pour une soirée son ancien « lieutenant » Raphaël Géminiani. « Gem », pour ceux qui applaudissaient du bord de la route  les coups d’audace et de colère de cet auvergnat dégingandé et « fort en gueule ». Toujours « Gem » pour ceux qui maintenant côtoient l’homme au commentaire toujours coloré et à l’emporte-pièce, même si le « grand fusil » a pris quelques kilos de rondeur (…) Ces réserves émises, les deux hommes retrouvent « l’esprit de caste » quand sont abordés les problèmes médicaux des coureurs cyclistes et, notamment, du dopage.  « A notre époque, il n’y avait pas de contrôle antidopage. Raphaël et moi, on a 57 ans et on n’est pas mal pour des vieux…  ironise Bobet. Quand on voit le nombre de jeunes qui se droguent, on ne comprend pas pourquoi on fait un procès d’intention aux coureurs cyclistes. » [Le Méridional, 12.08.1982]

1992 – Eddy Merckx (BEL) – « Plaidoyer en faveur du dopage »

          « À propos du « Cannibale », la seule certitude c’est que, s’il s’est dopé, sa longévité, ses résultats et sa régularité constitueraient un plaidoyer en faveur du dopage aux effets apparemment plus positifs que « négatifs » !  La transformation physique observée après sa retraite ? Le poids pris par le Bruxellois – qui a toujours été un athlète solide – peut fort bien correspondre à l’épaississement de l’âge, d’autant plus important dans ce cas que le sportif de haut niveau a rompu brutalement avec une activité physique débordante. »  [Ichah R. et Boully J. .- Les grands vainqueurs du Tour de France. – Paris, éd. Critérion, 1992. – 365 p (p 285)]

 

Bjarne Riis envisage de revenir dans le cyclisme avec la bénédiction de l’UCI

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Le lauréat du Tour 1996, le Danois Bjarne Riis, qui avait également finit 3e en 1995 et 5e en 1993, a annoncé le 25 février dernier son désir de diriger à nouveau une équipe World Tour.

RIIS 2

Après sa séparation avec Oleg Tinkov – le patron de l’équipe éponyme – en mars 2015, le grand danois était sans job dans le milieu qui l’a construit. Lors de la conférence de presse où il annonçait son come-back de manageur, Monsieur 60% (surnom dû à son hématocrite boosté par l’EPO) n’avait pas de scrupules pour oser dire : « J’ai encore beaucoup à offrir, ce serait stupide de ne pas mettre à profit mes compétences ».

Il est certain que sur le dopage il en connaît un rayon !

Par ailleurs, on attend la réaction du président de l’Union cycliste internationale (UCI) qui, a priori, doit empêcher Riis de réaliser son projet puisque depuis 2011 le règlement ucéien proscrit la présence d’un ex-dopé dans l’encadrement d’une équipe.

Pour être franc, compte tenu de son manque de courage chronique (l’équipe Katusha n’a pas été suspendue alors qu’elle avait enregistré deux cas positifs – Luca Paolini et Eduard Vorganov – en moins d’un an) on ne croit pas vraiment que l’UCI fera respecter le code de bonne conduite des équipes professionnelles qui doivent écarter de leurs staffs tous ceux qui ont été impliqués dans le passé ou plus récemment dans des affaires de dopage.