Télévision : “rien n’est plus contagieux que l’exemple”
Ces derniers mois, la fraude technologique ou pour être plus clair le vélo électromagnétique, a alimenté l’actualité cycliste. Depuis cinquante ans, le dopage biologique secoue le peloton. La presse des deux roues sans moteur s’insurge sur le procès orienté exclusivement à l’encontre de son cher sport en titrant « Haro sur le cyclisme… et les autres ?». Problème : je n’ai jamais lu dans un mensuel spécialisé « Haro sur les tricheurs du vélo » ! Ces derniers temps, avec la multiplicité des épreuves cyclistes télévisées, j’ai assisté à plusieurs faits de triche ordinaire sans que cela ne mobilise le MPCC (Mouvement pour un cyclisme crédible) ni l’UCI (Union cycliste internationale).
Coup de pouce ‘’légal’’ n° 1 : bidons motorisés
Le premier acte se déroule pendant le Tour de Romandie. C’est la chaîne qatarie Bein Sports qui assure la couverture télévisée de l’épreuve suisse. On y voit un échappé qui, a une trentaine de kilomètres de l’arrivée, plafonnait avec une minute d’avance sur le peloton. Visiblement, il y avait peu de chance qu’il termine en vainqueur. Le consultant, Cédric Vasseur – ancien professionnel vainqueur d’une étape sur le Tour – s’est interrogé, alors que la voiture du directeur sportif était aux côtés de l’homme seul, pourquoi celui-ci ne sollicitait pas un bidon pour bénéficier d’un coup de pouce motorisé. Pour ce consultant, s’accrocher à un bidon-motorisé fait donc partie du métier et, visiblement n’est pas répréhensible. Signalons que ces jeux de mains ne sont pas récents puisque dès les années 1950, la presse sportive s’en faisait l’écho. Ainsi, Albert Baker d’Isy, le journaliste envoyé spécial sur le derby de la route – la classique Bordeaux-Paris – légendait une photo où l’on voyait un concurrent s’accrocher à un ‘’bidon’’ : « Savez-vous qu’en tenant solidement un gobelet, on peut se faire aider un peu… sur 100 mètres’’.
La deuxième triche ordinaire se déroule pendant le Tour de Croatie (19-24 avril). La retransmission télévisée étant assurée par Eurosport. Toujours un homme seul en tête, le Canadien Guillaume Boivin, échappé avec 1’30 sur le peloton.
Aujourd’hui, la banalisation des bidons motorisés fait partie des mœurs du peloton
Coupe de pouce ‘’légal’’ n° 2 : coupe-vents motorisés
Le vent défavorable de ¾ face est de la partie. Pendant que l’isolé peine dans le vent, le peloton se met en mode éventail pour essayer en les mettant dans la bordure afin de provoquer des cassures dans la file, d’écarter certains leaders. Là, la sélection se fait à la régulière. Sauf que pendant le même temps, on voit l’échappé protégé par la voiture de son directeur sportif venu à sa hauteur sur le côté droit pour l’abriter du vent et ce sur plusieurs centaines de mètres. Curieusement, pendant cette manœuvre sauvetage le véhicule du directeur de course est étrangement absent. Quoi qu’il en soit, pendant que Boivin est préservé du vent par sa voiture, on entend à l’antenne le consultant Steve Chaisnel – ancien pro de 2007 à 2015 – nous annoncer tout de go que le directeur sportif de Cycling Academy Nicki Sorensen a ’’du métier’’ et que cette pratique est autorisée’’. Le comble c’est que le journaliste présent à côté du consultant acquiesce sans réserve. Ben voyons…
Le coup de pouce du coupe-vent motorisé
Bref dans le milieu cycliste c’est connaître les ficelles du métier !
Ces deux anecdotes m’en rappellent une troisième qui concerne l’athlétisme et le saut à la perche.
Coups de main des équipiers et des spectateurs 1952 – Coppi - Ses équipiers le poussent de temps en temps Témoignage du Français Pierre Pardoen, un « anonyme » du Tour de France : « Ce qui m’a frappé le plus, c’est l’organisation des Italiens. Certes, leurs leaders sont de grands champions, Coppi surtout, mais il faut voir comme Fausto est aidé. On lui donne à boire, on lui verse de l’eau sur la tête, on le pousse de temps en temps. Il ne quitte jamais la tête du peloton, il reste dans les dix premiers. Mais il ne mène presque jamais car dès qu’il se trouve en tête, un de ses domestiques surgit pour se placer devant lui.» [Miroir-Sprint, 28.07.1952] 2014 – Tirreno-Adriatico – « Sans les pieds » Professionnel depuis 2008, Yoann Offredo n’a pas eu peur de la pente pourtant effrayante (passages à plus de 30%) du mur de Guardiagrele, dans Tirreno-Adriatico 2014. ‘’Après que les coureurs qui jouaient la gagne sont passés, le public s’est mis à pousser tous ceux qui arrivaient. J’ai dû mettre trois coups de pédale dans la bosse. Derrière, dans le gruppetto, certains avaient gardé des barres vitaminées et des bidons. Ils les tendaient aux spectateurs, en disant Spingi, spingi (pousse, pousse).’’ »[L’Equipe, 23.03.2014]
« Avoir du métier »
On est dans les années 1990, je m’entretiens avec un ancien recordman du monde devenu rédacteur dans un mensuel de course à pied. Je lui fais remarquer que sa spécialité athlétique me pose problème. En effet, à l’époque, lors du passage de la barre, il était autorisé si elle tremblait de la maintenir avec la main afin bien sûr qu’elle ne chute pas. Tout cela n’est plus de mise. Mais l’ancien sauteur défendait mordicus que ce n’était pas de la triche. C’était probablement là aussi avoir du métier.
Dernier exemple récent. C’est l’Allemand Simon Geschke qui s’insurge. Professionnel depuis 2009 et lauréat de la 17e étape du Tour de France 2015, membre de l’équipe Giant-Alpecin, il n’a pas vraiment été enthousiasmé par la victoire du Français Nacer Bouhanni le 18 février à Cordoue dans le Tour d’Andalousie 2016. Le barbu de Giant témoigne : « Pas fan des sprinteurs qui sont poussés par leurs coéquipiers dans la dernière côte et gagnent l’étape ensuite. »
« Avoir du métier » et « se soigner » sont deux doux euphémismes
Même si la majorité du peloton ne connaît pas la signification exacte du mot euphémisme, il s’en sert à longueur de commentaire lorsqu’il évoque son activité de cycliste de compétition confronté aux fraudes en tous genres et au dopage. Dans le premier cas, il nous sert l’expression « avoir du métier » lorsqu’il profite de l’abri de la moto ou d’une voiture, surtout si c’est trop voyant ; de même pour évacuer la suspicion de la consommation de drogues de la performance, il se défend en affirmant que plus simplement il se soigne. Rappelons qu’euphémisme se définit comme une expression atténuée d’une notion dont l’expression directe (triche, dopage) aurait quelque chose de choquant, de déplaisant.
Au final, ces différents actes de triche ordinaire tempèrent de plus en plus fortement mon intérêt à suivre les courses cyclistes. Parallèlement, on peut s’interroger : pour réguler les fraudes aveuglantes sur les écrans que font d’efficace l’UCI et le MPCC ? Poser la question, c’est y répondre …