

L’Equipe, 19 juillet 2017
Le Galibier, avec 58 ascensions – celle d’aujourd’hui n’est pas encore comptabilisée – n’est pas le col le plus fréquenté par les Géants du Tour. C’est le Tourmalet (2 115 m) qui le devance nettement avec
Pour traverser les Pyrénées, le Tourmalet est très souvent au programme alors que pour les Alpes, plusieurs passages sont possibles en évitant le Galibier. Par ailleurs, même la fiche Wikipedia sur ce coup est bien mieux documentée que les journalistes de L’Equipe. Elle signale que le Tourmalet « est le col qui a été le plus souvent franchi par la course, tous massifs montagneux confondus ».
Je n’ai pas d’explication concernant la constance des erreurs du quotidien sportif ! Au choix :
– ils n’ont pas d’archives,
– ils s’en foutent complètement,
– ou alors veulent-ils vérifier en glissant intentionnellement des erreurs dans leurs textes que, chaque jour, je lis attentivement leurs articles ?
En tout cas, je constate une fois de plus que ce journal méprise copieusement ses lecteurs qui sont pourtant les payeurs alors que les journalistes, eux, sont payés. Ce n’est pas nouveau mais la dérive s’accentue.
COMMENTAIRE DE LECTEUR :
Le 18 février 2017, j’avais réagi à une ‘’énorme vanne’’ de L’Equipe publiée deux jours auparavant qui attribuait à Lance Armstrong la victoire au Mont-Ventoux, le 13 juillet 2000, alors que c’était Marco Pantani qui avait franchi la ligne le premier. Dans le même texte du quotidien sportif, le journaliste mettait en exergue la vitesse de jambe de l’Américain. Dans mon blog, j’avais rappelé qu’au décours des années 1950, Charly Gaul tournait ses bielles à une cadence identique au natif de Plano (Texas).
Un lecteur a commenté cet article paru dans mon blog le 16 février et titré : Le Grand bêtisier XXL de L’Equipe continue.
Voici son annotation critique : « 110 tours minute avec 3,95 m de développement, ça fait du 26 km/h. Charly Gaul serait donc allé plus vite que Contador et Schleck dans le Galibier. Encore de la ‘’légende’’ du Tour de France. »
Je ne suis pas sûr que dans un col tel que le Galibier (2 556 m d’altitude au passage du tunnel) sur une distance de 34 km depuis Saint-Michel-de-Maurienne (versant Nord : le plus utilisé par les géants de la route du Tour), avec une pente moyenne à 6,6%, pour un supergrimpeur du calibre de Charly Gaul, il ne lui était pas possible de rouler à 26 km/h sur des portions prolongées et non en continu alors que l’ascension totale du géant alpin présente, intercalée, une descente de 4 km avant Valloire.
Charly Gaul à l’aise au sommet du Galibier devance ses poursuivants de 15’ 55’ – Le Miroir des Sports, 1955, n° 524, 18 juillet, p 5
En 1955, au sommet du géant, le Luxembourgeois a atomisé ses adversaires qui passent avec un débours de 15 mn 55 et plus. Parmi eux, on trouve tous les cadors du peloton : Louison Bobet, Ferdi Kubler, Jan Brankart, Raphaël Géminiani, Gilbert Bauvin….
Les poursuivants de l’Ange de la Montagne sont à la peine – Le Miroir des Sports, 1955, n° 524, 18 juillet, p 9
Les passages au Galibier le 14 juillet 1955
Bien sûr, je n’étais pas présent dans les voitures suiveuses mais je pense que l’Ange de la Montagne portait bien son surnom lors de la 8e étape Thonon-les Bains – Briançon le jeudi 14 juillet.
Par ailleurs, si on compare la moyenne horaire de l’étape remportée en 1955 par Gaul (253 km pour un temps de 7 h 42’ 55’’, soit 32,792 km/h), sur le Tour 2011 où sont réunis Andy Schleck et Alberto Contador pour la 18e étape Pinerolo-Galibier-Serre-Chevalier (21 juillet), les chiffres sont voisins : 200,5 km ; 6 h 07’ 56’’ soit 32,696 de moyenne.
En 2011, rebelote le lendemain, le Galibier est encore au menu. Mais là, sur une étape beaucoup plus courte – 109,5 km – avec un mano a mano Andy Schleck-Alberto Contador, on constate que la moyenne 33,963 km/h n’a rien d’exceptionnelle. En tout cas, elle ne démontre pas que Gaul était inférieur aux deux supergrimpeurs du Tour 2011.
Profil établi pour le Tour 2011
Compte tenu des vitesses moyennes enregistrées à 56 ans d’écart, on peut aussi balayer d’un revers de main la croyance erronée de la presse actuelle : « qu’avant les dopages étaient dérisoires, les exploits énormes. Que penser de ce dopage devenu énorme, de ces exploits dérisoires ».
Mis à part « les carencés en neurones », qui peut croire cette fable que le dopage des années 1960 était dérisoire et celui des années 2010 atomique ?
POST-IT (1)
Les faits listés ci-dessous en sont la preuve ; Gaul était meilleur que Schleck et Contador. En 1955, les ingrédients techniques de la performance sont en défaveur de l’Ange de la Montagne et pourtant il va aussi vite que ses successeurs, plus de cinq décennies après :
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POST-IT (2)
Autres témoignages sur la vitesse de jambe du lauréat du Tour 1958 :
1 – Témoignage de Robert Chapatte : (épreuve ’’Provinces du Sud-Est’’ 1955) : « Dès lors pour le Luxembourgeois, le verdict du Ventoux désignerait le vainqueur et la victime. Pour lui, ce jugement ne laissait aucun doute. Il ne fut pas déçu. Grimpant dans son style très personnel – un style inédit en matière d’escalade – moulinant des petits braquets, mains en bas du guidon, le plus souvent « en danseuse », Charly Gaul écrasa tous ses poursuivants dans l’ascension, augmenta l’écart dans la descente et sans perdre la moindre minute, sur les 40 km de plat entre Bédouin et Avignon, résista à la chasse menée tambour battant par ses victimes regroupées. » [Route et Piste, 25.05.1955]
2 – Témoignage de René de Latour du Miroir des Sports : « Charly Gaul ne donne pas l’impression de s’employer davantage. Ses escalades s’effectuent dans une apparente facilité. Sa cadence ravirait Charles Faroux, le grand théoricien de la mécanique qui est un adversaire déterminé des cadences cyclistes inférieures à 120 tours minute, quel que soit le terrain. C’est que Gaul se refuse à pousser en force. Tout en lui est souplesse. Ses développements sont inférieurs à ceux de ses adversaires et la grâce de son style s’en dégage nettement. C’est sans doute la raison pour laquelle alors que la carrière des grimpeurs est généralement brève, sa supériorité doit s’affirmer pendant encore de longues années. » [Le Miroir des Sports, 1956, n° spécial avant Tour, supplément au n° 570, p 15]
L’Equipe, 15 juillet 1955
Rétro : le col de Romeyère en 1949
Après avoir publié en juin 2010, 36 histories ‘’fausses’’ du Tour de France, je poursuis la saga (inépuisable) des faits survenus sur la Grande Boucle et romancés par les pseudo-experts autoproclamés ‘’historiens’’ des exploits des géants de la route.
Pendant ces dernières vacances, j’ai lu plusieurs ouvrages sur la Ronde de Juillet encombrés comme d’hab d’une noria d’erreurs et d’histoire bidonnées. C’est Pierre Carrey, fondateur de Directvélo.com qui, dans son dernier opus « Le Tour de France à dévorer », sur la foi de la biographie de Federico Bahamontes « The Eagle of Toledo » écrite en anglais en 2012 par un dénommé Alasdair Fotheringham – qui a aussi commis les bios de Luis Ocana, Tom Simpson et Fausto Coppi (mis à part Baha, que des coureurs décédés, autrement dit bonjour la véracité des faits).
Federico Bahamontes
« Le vainqueur du Tour 1959 est resté célèbre pour une histoire de glace. Pour sa première participation en 1954, cet inconnu du grand public est échappé dans le Galibier, avec près d’un quart d’heure d’avance, et il s’arrête en haut pour s’offrir un cône. En réalité, Federico Bahamontes a deux rayons cassés : la voiture de l’équipe de Belgique a projeté un caillou par inadvertance, qui a heurté sa roue. Lorsqu’il met pied à terre, le débutant de 26 ans est « sur les nerfs et en colère ». Mais où diable est passé son directeur sportif ? Les minutes s’égrènent. Alors Bahamontes s’occupe. « Le sommet était bondé, comme tout sommet dans le Tour, raconte-t-il dans sa biographie en anglais, The Eagle of Toledo. Mais il y avait deux marchands de glace ambulants. J’ai pris un cornet chez l’un d’eux et je l’ai rempli avec une boule de glace à la vanille. »
Après quoi Bahamontes, toujours au milieu de la foule, remplit son bidon d’eau et arrose les coureurs qui finissent par arriver. Une petite blague qui lui vaut une amende des commissaires et qui est tombée dans l’oublie. Seul est gravé le récit de la crème glacée… On prête d’ailleurs à l’Aigle de Tolède des envies de cône sur les journées de repos mais son arrêt impromptu du Tour 1954 semble un cas unique dans sa carrière. Qui n’a pas empêché l’Espagnol de gagner le premier de ses six titres de « meilleur grimpeur ». (pp 133-134)
Pierre Carrey. – Le Tour de France à dévorer. – Brest (29), éd. DirectVélo, 2016. – 239 p
Tout cela est FAUX ou en tout cas très loin de la réalité des faits. Si Pierre Carrey, qui collabore à l’occasion à Libération, avait lu ses classiques sur le Tour, particulièrement « Les grands vainqueurs du Tour de France signé en 1992 par les journalistes Robert Ichah et Jean Boully, il n’aurait pas plongé la tête la première dans le mastoc d’un journaliste anglo-saxon. En effet, les deux auteurs situent l’anecdote de la glace au col de Romeyère sur la route des Ecouges dans le département de l’Isère et non dans le Galibier. Cette lecture aurait dû mettre la puce à l’oreille à l’auteur de la version 2016 du cornet de glace consommé par un espagnol à vélo au sommet du géant des Alpes.
Tour de France 1954 : un cornet de glace au passage du Romeyère
« Et puis, comment faire confiance à un coureur qui, dans le Tour 1954, s’est livré, dans le col de Romeyère, à la plus hallucinante des démonstrations : une montée à toute allure, amenant à comparer ses poursuivants à une armée de 2 CV dont la prétention à rivaliser avec la Ferrari de tête relève d’un traitement psychiatrique de choc! Et puis, une fois le sommet du col franchi avec une large avance ( !) , arrêt devant un glacier ambulant, achat d’un cornet de glace, dégustation et, bien sûr, reprise du fugitif par le reste de la troupe, et même perte de terrain dans la descente ? Comme on s’est étonné, à l’étape, du comportement pour le moins curieux de notre homme, il a, en roulant des yeux sombres et effarés, répondu: « Le directeur sportif, il a demandé à moi de gagner le Grand Prix de la Montagne. Moi, il a marqué beaucoup de points.» «Moi », il en marquera même tellement d’autres que le directeur sportif sera satisfait. Mais à l’arrivée, notre maître des cols n’est pas bien placé: vingt-cinquième. Il n’est même pas le premier des Espagnols: c’est Bernardo Ruiz qui l’a été. Il n’est même pas vainqueur d’une étape, alors que ce Tour était sérieusement accidenté. » (p 248)
Robert Ichah et Jean Boully. – Les grands vainqueurs du Tour de France. – Paris, éd. Criterion, 1992. – 365 p
COMMENTAIRES JPDM
En réalité, Bahamontes passe sous la banderole du Grand Prix de la Montagne avec seulement 5 secondes d’avance sur Jean Le Guilly et 1’35 sur Ferdi Kübler, Louison Bobet, Jean Dotto, Jean Malléjac et Stan Ockers. Au début de la descente, l’Espagnol crève, Le Guilly continue seul. [Source : Le Miroir des Sports, 1954, n° 472, 28 juillet, p 4]
La légende de la photo prise le jour du passage au col de Romeyère le 26 juillet 1954 où l’on voit Le Guilly dévaler les premiers hectomètres de la descente confirme bien que le meilleur grimpeur de cette édition a consommé une glace après avoir franchi l’obstacle.
Le Miroir des Sports, 1954, n° 472, mercredi 28 juillet, p 6
(la légende de cette photo confirme que Bahamontes s’est arrêté pour déguster une glace)
En ce qui concerne la version Galibier, elle est d’autant plus fausse qu’il n’avait pas « près d’un quart d’heure d’avance » mais seulement 20 secondes sur Jean Dotto, son suivant immédiat et 1 min. 26 sec. Sur le 5e Robert Varnajo.
Comme d’habitude, il y a bien un premier auteur qui a raconté cette ânerie. En sollicitant le moteur de recherche Google, ce dernier m’apprend que le journaliste Jean-Paul Brouchon, le 09 juillet 2009 sur son site, raconte l’histoire à sa façon très approximative comme d’habitude : « En 1954, Federico Bahamontes, encore inconnu du grand public, passe en tête au sommet du Galibier (NDLA : c’est la seule chose de vraie). Jugeant son avance assez grande sur ses suivants immédiats, il s’achète une glace ou se la fait offrir par un marchand ambulant, en attendant tranquillement ses adversaires pour reprendre sa route. Il avait déjà fait le même geste lors du critérium du Dauphiné Libéré. (NDLA : le col de Romeyère est souvent emprunté par cette épreuve de sélection pour le Tour d’où la probable méprise de Jean-Paul Brouchon). Il explique son geste par le fait qu’il n’était pas sur le Tour pour remporter le classement général mais uniquement pour remporter le classement de la montagne. »
Au final, les documents d’époque du Miroir des Sports du 28 juillet 1954 en témoignent.
– L’étape conduisait le peloton de Lyon à Grenoble (1982 km)
– C’était le lundi 26 juillet au passage du col de Romayère (1 069 m) que l’Aigle de Tolède s’est arrêté afin de consommer une glace
– L’Espagnol, en passant l’obstacle du Vercors, n’avait pas « près d’un quart d’heure d’avance » mais seulement 5 secondes sur son second Jean Le Guilly.
Compte rendu de la 17e étape paru dans le Miroir des Sports : l’histoire du Tour 1954, p 52
POST-IT
Que Pierre Carrey se soit appuyé sur la biographie de Federico Bahamontes sans vérifier les faits est une faute courante de ceux qui écrivent sur les Rois de la Pédale. Il faut toujours remonter à la source et non s’appuyer sur des témoignages recueillis soixante ans plus tard même si c’est le concerné (ici Bahamontes) lui-même qui se ‘’souvient’’… Ajoutons qu’à l’époque de l’Aigle de Tolède les amphets étaient le viatique courant des cyclistes de compétition avec comme effets collatéraux classiques l’amnésie et la mythomanie.
Col du Galibier – Le chalet et le tunnel côté sud
Passionnés de vélo, en lisant le seul quotidien sportif français, vous avez plus de chance de lire des contes et légendes que la véritable histoire des Rois de la Pédale sur la route du Tour.
Quelques exemples : Les Forçats de la Route attribués par erreur au journaliste Albert Londres (Tour 1924) ; la fourche d’Eugène Christophe cassée dans une collision avec une voiture en 1913 ; la première ascension des Pyrénées (Tourmalet) par des cyclistes lors du Tour 1910. Tout cela est faux et pourtant ces récits encombrent les livres sur l’histoire du Tour.
Ces derniers temps, L’Equipe nous a ressorti la fameuse phrase apocryphe d’Emile Georget franchissant le Galibier en 1911. Ainsi, dans l’Equipe Magazine du 18 juillet 2015 Vincent Hubé propose un quiz sur les Alpes. La première question concerne notre sujet :
Lorsque, le premier, il est passé en tête au sommet du Galibier en 1911, qu’a dit Emile Georget aux dirigeants du Tour ?
A : « Vous êtes des criminels, c’est trop dur ! »
B : « Ça vous en bouche un coin ! »
C : « C’est quoi les écarts ? »
D : « Si ma grand-mère faisait du vélo… »
Le magazine a donné la réponse B.
Rebelote dans L’Equipe du 05 juin 2016. C’est Jean-Luc Gatelier qui s’y colle en nous la jouant historien : « Ça vous en bouche un coin, hein ? » pour reprendre la célèbre réplique du brave Emile Georget au sommet du Galibier où il fut le premier à s’élever lors du Tour 1911. »
Gustave Garrigou : « J’y étais, c’était le lundi 10 juillet. Je fus 3e là-haut »
En réalité, Henri Desgrange qui, dans L’Auto du 11 juillet 1913, rapporte cette phrase ‘’historique’’ d’Emile Georget n’était pas présent au passage du vainqueur au Galibier. En fait, il suivait François Faber, son chouchou, quelques lacets plus bas. Velocio dans Le Cycliste de décembre 1911, rapporte l’imposture des commentaires d’HD et qu’en réalité c’est LE MOT DE CAMBRONNE que Georget prononça ce jour-là. Tous les témoignages de ce haut fait du Tour 1911 sont rapportés dans « 36 Histoires du Tour de France » que nous reproduisons ici-même.
Editions Hugo, 2010. – 307 p (Galibier 1911, pp 73-78)
TDF – LES FAUSSES HISTOIRES (Georget).doc