







Toutes ces recherches ne seraient pas possibles sans l’aide efficace de Philippe Fetter, le spécialiste français des états civils de sportifs
Le 13 octobre, avec 1 h 59′ 40”, la meilleure performance jamais réalisée la veille par un bipède sur 42,195 km est en UNE des quotidiens
Trois contributions ont permise de franchir la barrière mythique :
Depuis des années, je collabore au mensuel Running Attitude, un magazine sur la course à pied. A plusieurs reprises, j’ai abordé les performances et records factices ou artificiels ainsi que leurs arcanes.
1. Les lièvres et les motos de presse faussent les performances maximales
Depuis le 1er janvier 2012, à propos des performances féminines sur le marathon, la réglementation de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) stipule que les meilleurs temps accomplis dans le cadre de courses mixtes ne seront plus considérés comme des records mais comme « meilleure performance mondiale» (mpm). La Britannique Paula Radcliffe, l’actuelle recordwoman du monde, va le rester mais avec un temps majoré de deux minutes (2h17 mn42 sec.) résultat acquis à Londres en 2005 dans une épreuve exclusivement féminine. En revanche, ses 2h15mn 25 sec. du marathon mixte de Londres 2003 vont être seulement estampillés « mpm ». Cette nouvelle donne de l’IAAF n’a pas laissé indifférente la principale concernée « qui n’est pas persuadée que la présence des hommes soit un stimulant efficace: « Cela sera difficile à appliquer. Regardez le nombre de records nationaux ou continentaux établis dans les courses mixtes ! Je regrette surtout l’aspect rétroactif de cette décision. Ils auraient dû la mettre en application dès le départ. Dans ma carrière, j’ai pris part à deux marathons mixtes et c’était à chaque fois la décision des organisateurs, pas la mienne. Et j’ai bien pris soin de courir aux côtés de lièvres, pas derrière eux [NDLA: contrairement à ce que pense Radcliffe, courir à côté d’un lièvre pousse à se surpasser. Cela porte le nom d’émulation]. De toute manière, je crois que j’aurais réalisé à peu près le même temps rien qu’avec l’aide de la foule et des motos suiveuses. Maintenant, les règles sont les règles et je ne vais pas me ‘tracasser ‘avec des choses sur lesquelles je n’ai pas de prise. »
On constate ainsi que Radcliffe tout comme Poulidor (notamment dans les contre-la-montre) estiment que la présence des véhicules à moteur (motos, autos des journalistes et des officiels) influencent favorablement les performances des … premiers.
Peut-on imaginer un jour prochain que la présence des engins à moteur mais aussi des vélos sur 42, 195km soient sérieusement réglementée ? Les conditions de course au fil du temps étant en perpétuelle évolution (médiatisation oblige: public, TV, … ), on devrait bannir à jamais le mot record et le remplacer par meilleure performance mondiale (du moment).
[Running Attitude, 2013, n° 133, mai, p 60]
2. Le chiffre : 90
«Les victoires de Peter Some et de Boru Feyese Tadese au Marathon de Paris le 7 avril 2013, s’ajoutent aux succès kényans et éthiopiens accumulés depuis plus d’une décennie sur les macadams du monde entier. En 2011, les coureurs éthiopiens ou kényans ont remporté 90% des cent-vingt marathons internationaux organisés dans le monde. En 2012, les quarante-neuf meilleures performances mondiales ont été réalisées par des Kényans ou des Ethiopiens, la cinquantième étant détenue par le Français d’origine kényane Patrick Tambwé.
[Running Attitude, 2013, n° 135, juillet, p 60] (NDLA : voir échos nos 6 et 7)
3. Thé chai et ugali
Pour tenter d’expliquer la domination en course de fond des coureurs des hauts plateaux des pays d’Afrique de l’Est, on avance une piste basée sur leur alimentation riche en apports énergétiques (77% de glucides, 13% de lipides et 10% de protéines)
Selon un article du Monde, on trouve dans les assiettes, fruits et ugali, une bouillie de farine de maïs. Et après, les entraînements épuisants, le thé chai – à indice glycémique élevé – permet d’accélérer la restauration des réserves glycogéniques.
[Running Attitude, 2013, n° 135, juillet, p 60] (NDLA : voir échos nos 6 et 7)
4. L’écart se creuse ā nouveau
Le 28 septembre 2014 à Berlin, le Kenyan Dennis Kimetto a fait descendre de 26 secondes le record du marathon (2 h 02’ 57’’).
Depuis les années 1970, les experts nous prédisent que les femmes vont rattraper les hommes sur 42,195 km. Des physiologistes américains ont même annoncé dans la presse scientifique que les hommes seraient rejoints en 1998. Or, en 1992 – au moment de leur pronostic – les scores obtenus par les meilleures performers féminins en course de fond étaient supérieurs en temps de 14’ 16’’ (11,25%) sur ceux des champions masculins. Avec la phénoménale Paula Radcliffe si à l’époque de son record du monde de 2003 en 2 h 15’ 25’’ l’écart s’est resserré, le récent temps de Kimetto a repoussé les femmes à 12’32’’ (10,1%)
[Running Attitude, 2014, n° 150, décembre, p 58]
5. Record du monde – des oracles imprudents
Un débat vieux comme le monde avait rebondi en 1992 avec la parution, dans la très cotée revue britannique Nature (datée du 2 janvier 1992), de l’étude de Brian Whipp et Susan Ward, deux physiologistes américains. S’appuyant sur les vitesses d’évolution des records du monde féminins et masculins de 1955 à 1992, les deux scientifiques de l’université de Californie (UCLA) avaient établi que si la tendance d’alors se poursuivait de la même façon, femmes et hommes courraient le marathon en 2 h 2′ en 1998, record du monde égal pour les deux sexes. Temps qui aujourd’hui en 2014 par rapport aux prévisions de 1998 est toujours inférieur d’environ 57 secondes au record masculin et de 13 minutes 25 secondes pour les femmes ! En sport comme ailleurs il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche.
Par ailleurs, une équipe de l’INSERM pilotée par le professeur Jean-François Toussaint, s’appuyant sur le modèle statistique, affirmait en 2007 que 99% des limites athlétiques estimées étaient déjà atteintes. D’ici à 2027, ce devait être près de la moitié de ces records qui auraient atteints 99,5% de leurs limites. Cela signifiait, par exemple, que le 100 mètres plat masculin de 9,74 secondes en 2007, atteindrait 9,67 secondes en 2027 et ne pourrait plus progresser que de quelques millièmes de seconde ensuite.
Sauf qu’Usain Bolt, en 2009 à Berlin, est descendu à 9,58 ! Comme quoi les scientifiques, même de l’INSERM, peuvent se planter un max.
[Running Attitude, 2015, n° 152, février, p 61]
6. Les hauts plateaux ne suffisent plus
Depuis des décennies, les experts en physiologie nous expliquent que les Kenyans dominent, du 3 000 m steeple au marathon, grâce à leur entraînement en altitude (2 000 à 3 000 m) sur les Hauts plateaux de l’Afrique de l’Est.
Les effets positifs de la diminution de la pression partielle en oxygène due à l’altitude boostant la production d’EPO endogène (naturelle) expliquerait en grand partie la suprématie des Kenyans et des Ethiopiens dans les courses de fond. Sauf que, depuis 2012, quarante-trois de ces bipèdes ailés, ont été épinglés par la patrouille antidopage dont certains à l’EPO exogène (artificielle). Pour contourner l’obstacle de la répression, certains n’hésitent pas à manipuler la distance. C’est ce que le quotidien L’Equipe nous apprend dans son édition du 28 octobre 2015.
Nous résumons : Julius Njogu, un Kenyan de 28 ans, au dernier marathon de Nairobi, s’octroie la deuxième place frais comme un gardon et récupère ainsi les 6 340 euros attenants à cette performance. Sauf que notre homme n’a effectué qu’un kilomètre du parcours ! Disqualifié pour ce manquement à l’éthique, dans la foulée il a été arrêté par la police pour fraude. Comme quoi les Hauts plateaux ne sont pas un vaccin efficace contre la triche.
[Running Attitude, 2016, n° 163, février, p 63]
7. La suspicion du dopage omniprésente depuis des décennies
Dans Sport et Vie n° 29 d’octobre 1958, un écho signale que : « Le Russe Sergey Popov, l’extraordinaire vainqueur du marathon des derniers Championnats d’Europe d’athlétisme, vient d’être mis en accusation par le Yougoslave Franjo Mihalic. Celui-ci lui reproche de s’être dopé à Stockholm. »
Ces quelques lignes apportent plusieurs informations :
Ajoutons que la consommation des drogues de la performance concerne tous les sports de l’haltérophilie aux fléchettes car elle est boostée par la compétition elle-même stimulée par la médiatisation.
[Running Attitude, 2017, n° 178, juin, p 70]
8. Un record bidonné
Le Kényan Eliud Kipchoge en 2 h 00’ 25’’est devenu le 6 mai 2017 l’homme le plus rapide sur 42.195 km.
Mais sa course orchestrée par Nike n’a pas été réalisée dans des conditions acceptables. Son chrono ‘’record’’ lui a été facilité par différents gains marginaux :
L’équipementier Nike étant l’inspirateur et le maître d’œuvre de cette grosse opération marketing. Une fois de plus, c’est le record à tout prix et non l’amélioration de la performance humaine qui est recherchée.
Rappelons que dans le marathon en 2017, la limite n’est pas physiologique (le moteur cardiovasculaire) mais mécanique (la résistance aux impacts des structures ostéo-musculo-tendineuses des membres inférieurs).
[Running Attitude, 2017, n° 183, novembre, p 68]
9. Record sportif – une expression qui n’a plus aucun sens
Y-a-t-il des limites aux records ? La question revient régulièrement au moment des championnats du monde d’athlétisme : comment est-il possible de battre encore et toujours des records jugés extraordinaires ? Car en près de 120 ans – le temps d’un soupir dans la durée de l’évolution – s’est produit un boum fantastique des performances. Pourquoi ? Sept éléments de réponse. Plusieurs facteurs qui varient, bien sûr, en fonction des caractéristiques de chaque spécialité sportive, peuvent intervenir : améliorations techniques, méthodes d’entraînement et de préparation, modifications biomorphologiques, matériel high tech, sélection à partir d’une population plus nombreuse et en meilleure santé, aspects psychologiques et drogues des podiums en constants progrès.
On l’a vu avec le pseudo-record de mai 2017 du Kényan Eliud Kipchoge qui a bouclé la distance du marathon en 2 h 00’ 25’’ mais avec des conditions de course optimisées bien au-delà de celles de ses devanciers. Aujourd’hui, quel que soit la spécialité athlétique, on ne peut parler que de meilleure performance mondiale (MPM) et non de record. Il est clair qu’on ne va pas imposer les chaussures bain de mer des athlètes des années 1950 à ceux d’aujourd’hui ; comme on ne peut pas évaluer l’influence des drogues de la performance sur les records anciens ou récents, avec des MPM on s’évite l’éternel débat : faut-il ou non remettre à zéro les records ?
[Running Attitude, 2018, n° 186, mars, p 66]
Parmi les vainqueurs du Tour de France qui se sont brisé la clavette à plusieurs reprises, on trouve en tête, détaché, le gagnant du Tour de France 2011, l’Australien Cadel Evans avec 4 cassures.
Cadel Evans, vainqueur du Tour de France 2011
Trois autres lauréats du Tour sont classés ex-aequo en deuxième position avec 3 cassures.
Par ailleurs, en dehors des vainqueurs du Tour, il faut noter que Michel Pollentier entre 1972 et 1980 s’est rompu 8 fois la clavicule.
Michel Pollentier, coureur professionnel de 1973 à 1983
Mais le record toutes catégories du cycliste récidiviste au nombre de fractures de la clavicule, mais pas que, appartient au stayer américain Boby Walthour qui exerçait son talent au début du XXe siècle. C’est l’hebdomadaire cycliste La Pédale qui en témoigne :
« Le vieux stayer américain, Bobby Walthour, qui fut l’un des plus prestigieux de la catégorie et qui a remporté le titre de champion du monde en 1904 et en 1905, détient un record, celui des blessures. Au cours de sa longue carrière sportive, il a totalisé : 28 fractures de la clavicule droite, 18 fractures de la clavicule gauche, 32 côtes brisées ou rebrisées, 16 points de suture à la jambe, plus de 100 cicatrices sur tout le corps, 60 cicatrices sur la tête, 6 chutes qui eussent pu être mortelles, 2 chutes dont on crût qu’il ne réchapperait pas et 6 doigts écrasés ! » [La Pédale, 1924, 2, n° 18, 22 janvier, p 6]
Signalons qu’à l’époque de Walthour, les épreuves derrière moto étaient très dangereuses : taille et vitesse des engins, nombre de concurrents par rapport à la largeur des pistes.