Régulièrement, la presse quotidienne régionale (PQR) où a lieu le Grand Départ, profite de la mondialisation du Tour de France pour ”pondre” un hors série. En 2021, la Grande Boucle partant de Brest, c’est la Bretagne, terre de cyclisme, qui pendant cinq étapes a été le point de ralliement de tous les passionnés de la petite reine.
Pendant cette période où la Grande Boucle joue les rétros, c’est l’occasion de revisiter ses à-côtés, un sujet inépuisable pour un public passionné, de plus en plus attiré par les dessous des exploits des Géants de la Route.
En tant qu’athlète, Henri Decoin a participé à l’épreuve du 400 m nage libre des Jeux olympiques 1908 et au tournoi de water-polo de ceux de 1912.
De nombreux journalistes et historiens attribuent par erreur l’expression les forçats de la route à Albert Londres qui a suivi le Tour de France 1924 pour le compte du Petit Parisien (à ne pas confondre avec Le Parisien Libéré comme certains l’écrivent).
C’est André Reuze, le journaliste du Miroir des Sports, présent sur ce même Tour, qui révèle l’imposture de la paternité de la célèbre formule imagée « Les forçats de la route». Il témoigne dans l’hebdo sportif du 23 juillet 1924 : « Albert Londres a fait quelques critiques. Il a trouvé les coureurs sympathiques, il a beaucoup admiré leur courage mais il a trouvé le règlement inutilement sévère, quand il eût pu l’être moins. Ces critiques n’ont pas plu. Et comme Albert Londres est l’auteur un an plus tôt d’un remarquable reportage sur les bagnards de la Guyane (Cayenne) on lui attribue, aujourd’hui (1924), une comparaison qu’il n’a jamais faite. C’est notre confrère Henri Decoin qui, le premier, écrivit en parlant des touristes-routiers :
‘’Avec leurs numéros dans le dos, ils ressemblent aux forçats d’Albert Londres’’. »
« Avec leurs numéros dans le dos, ils ressemblent aux forçats d’Albert Londres »
Ensuite, tout s’est emballé ; on a eu droit aux forçats de la route d’Albert Londres sans que ce dernier n’est jamais écrit ni prononcé l’expression. Autre preuve béton, l’article du 27 juin 1924 écrit par Londres a pour titre : « L’abandon des Pélissier ou les martyrs de la route ». Forçats et martyrs, rien à voir (Larousse, Petit Robert)
C’est à partir du texte d’Henri Decoin que la presse a fait un transfert sur Albert Londres. Pour être complet au plan historique, il faut signaler que l’inventeur de la célèbre formule s’appelait Maurice Genin et l’avait utilisée 18 ans auparavant comme titre d’un article paru en novembre 1906 dans La Revue de la Chambre syndicale des cycles et automobiles de Saint-Etienne.
Genin avait du mal à comprendre comment des hommes mêmes entraînés pouvaient parcourir à vélo 4545 km en 25 jours sur des routes non revêtues.
Ci-dessous quelques photos d’Henri Decoin. Rappelons qu’il fut tour à tour sportif de haut niveau (nageur, boxeur), aviateur en temps de guerre, journaliste sportif (L’Auto, Le Miroir des Sports, L’Intransigeant, La Vie au Grand Air, Paris-Soir), auteur dramatique, cinéaste, écrivain.
Henri Decoin, La Vie au Grand Air, 15 mars 1917
Henri Decoin nageur en 1908, Match, 16 mars 1939
Henri Decoin et son épouse Danielle Darrieux, Match, 16 mars 1939
Les Forçats de la Route ! Il y a vraiment des indécrottables baratineurs à L’Equipe !! Dans ce journal du 3 juillet, à propos du passage des coureurs à Coutances dans la Manche, on nous ressort l’article d’Albert Londres titré soi-disant « Les Forçats de la Route ».
Albert Londres
Cela fait treize ans que j’ai démontré preuves à l’appui (voir l’article d’Albert Londres du 27 juin 1924) – que le journaliste qui a péri dans l’incendie du paquebot Georges Philippar en Mer Rouge le 16 mai 1932, n’a jamais écrit l’expression Les Forçats de la Route ni dans le titre ni dans l’article mais Les martyrs de la route.
Forçats et martyrs : chercher la différence
Dans le langage courant, et par association avec le criminel condamné à ramer sur les galères de l’Etat ou aux travaux forcés, on parle de travailler comme un forçat, très dur, excessivement, ou d’effectuer un travail très pénible, inhumain. En revanche, le mot martyr utilisé dans son titre par Albert Londres n’a rien à voir, ni de près ni de loin, avec le mot forçat. Dans le dictionnaire Petit Robert, le martyr est « une personne qui a souffert la mort pour avoir refusé d’abjurer la foi chrétienne – ou une autre foi – et, par extension une personne qui meurt, qui souffre pour une cause. »
Une fois de plus, comme le disait Gandhi, ‘’l’erreur ne devient pas vérité parce qu’elle se propage et se multiplie’’.
Mon but est que l’on respecte les lecteurs en étant professionnels, ce qui pour le moins n’est pas la spécificité n° 1 de L’Equipe. Ajoutons que la responsabilité d’un journal commence avec le refus de savoir.
Dans un ouvrage consacré à « 36 histoires du Tour d France », nous avions décryptées l’origine de la fameuse expression Les Forçats de la Route.
Le texte actualisé présenté ci-dessous doit permettre au lecteur de se faire sa vérité…